Rencontres avec Les Amis d'Odessa
Retrouvez les vidéos des rencontres avec nos invités
Ada Shlaen et Guy Hassid
L’idée d’une soirée consacrée aux auteurs « odessites » est née il y a presqu’un an. Au début trois noms se sont imposés : Anna Akhmatova (née à Odessa en 1889), Vera Inber (née à Odessa en 1890) et aussi Alexandre Pouchkine. Ce dernier bien que né à Moscou en 1799 peut être considéré comme un odessite d’adoption car il a évoqué la ville à plusieurs reprises dans son célèbre roman en vers Eugène Onéguine. Très rapidement nous avons décidé d’inclure parmi nos « élus » Boris Pasternak, car bien que né en 1890 à Moscou, ses racines odessites sont indiscutables tant du côté maternel que paternel. Viendra s’inviter sur la scène des hommes de lettres odessites, Edouard Bagritski (1895-1934) dont la virtuosité et la sensibilité poétiques sont légendaires.
Les voix talentueuses d’Ada Shlaen pour la version russe originale et de Guy Hassid pour la traduction française ont animé notre nouvelle soirée-lecture (4e édition).
Daniel Tollet
« Depuis le Premier Partage, en 1772, la Monarchie des Habsbourg, qui avait mis la main sur la Galicie, avait pour souci d’éviter qu’aux oppositions entre Ordres d’Ancien Régime ne se substituent des affrontements entre les membres des différents groupes ethnico-religieux : les Polonais-catholiques, les Ruthènes-uniates ou orthodoxes, les juifs et quelques Arméniens.
Pourtant, l’antisémitisme politique est apparu en Galicie sous les effets conjugués des décrets d’égalité des droits de 1867 et du krach boursier de 1873. Progressivement, ce courant qui puisait dans l’idéologie allemande et dans la pratique sociale russe, est devenu l’une des composantes du nationalisme polonais. Le mouvement s’est radicalisé en passant des idées de Teofil Merunowicz, qui réclamait seulement la moralisation des juifs, au courant populiste social-chrétien qui voulait les parquer dans le ghetto par la violence. Ce n’était alors plus une solution que recherchaient les antisémites mais l’assouvissement de sentiments haineux. S’ils avaient cherché des issues, ils auraient croisé le chemin de l’intelligentsia juive qui, des assimilateurs, sionistes, bundistes et socialistes, dénonçaient depuis les années 60 du XIXe siècle, le ghetto, à la fois prison et refuge, et réclamaient l’amélioration de la condition matérielle et morale des juifs. Les antisémites galiciens ne faisaient donc pas d’effort pour trouver une solution au bénéfice de la nation polonaise mais développaient seulement une activité de démagogues avides de pouvoir. Il est vrai que, de leur côté, trop faibles pour réformer le judaïsme, les modernisateurs, souvent séduits par le socialisme, le quittaient abandonnant derrière eux le shtetl à ses turpitudes et à ses ennemis. »
Les Amis d’Odessa s’intéressent tout particulièrement à la Galicie car ce sont des Juifs de Brody – communément appelés à Odessa les « Galiciens » (Galitsianer en yiddish, Juif de Galicie) –, environ trois cents familles de marchands, qui s’installent à Odessa dans les années 1820-1830. Devinant le potentiel commercial de la ville, de son port et plus globalement de la région, elles vont jusqu’à adopter la citoyenneté russe, transférer leurs affaires et devenir des citoyens de la ville. A Odessa, les Galitsianer sont des compétiteurs de premier ordre dans la course aux performances économiques. Ils sont surtout présents et jouent un rôle considérable sur le marché des céréales, remportant d’incontestables succès.
Daniel Tollet est ingénieur de recherches honoraire de l’Université de Paris-Sorbonne. Il a été président de la Société des études juives et est actuellement directeur des collections « Bibliothèque d’études juives », « Bibliothèque d’études de l’Europe centrale » et « Bibliothèque des religions du monde » aux Éditions Honoré Champion (Paris).
Ses travaux d’historien sont consacrés à l’Histoire de la Pologne, à l’Histoire des juifs en Pologne et aux relations entre les religions au sein de la Confédération polono-lituanienne.
Francis Conte
Dans une brève introduction historique, Francis Conte évoque les débuts de l’humour dessiné en Europe orientale. L’humour et le rire ont effectivement des racines très anciennes au nord de la mer Noire, et certains en ont déduit une véritable « archéologie de l’humour » (A. Mitchell). C’est ainsi que la civilisation de Tripol’é/Tripolia (VI°-III° millénaires avant notre ère) nous a légué une stèle fort rare. Hors contexte, elle a pu néanmoins revivre à notre époque, lors d’une découverte due aux miracles de l’archéologie contemporaine : on y trouve, gravé sur une stèle, le visage d’un homme au rire « sardonique ».
Un autre exemple critique nous dirige vers l’humour du politique comme vers celui du quotidien. Il est dû à Mikhaïl Linski (Moshé Shlezinger) qui nous propose une caricature des « Modes soviétiques ». En quatre tableaux, elles vont de la jeune et élégante tchékiste, à la tenue « slim fit » du malheureux citoyen soviétique de 1920, en passant par deux dandys – le marin aux « pattes d’éph." et le responsable soviétique au costume du soir quelque peu britannique.
A des siècles de distance, ces œuvres étaient donc destinées à déclencher le rire - ce « rictus qui court jusqu’aux oreilles » comme le dit plaisamment Baudelaire.
Et si le rite est bien le « propre de l’homme » (Aristote) nous essaierons de décrypter son mécanisme, avant de le vérifier grâce à nos caricaturistes réfugiés à Paris.
Les caricaturistes odessites, réfugiés à Paris après la révolution bolchevique, ont alors constitué un groupe spécifique dans lequel figure Mikhaïl Linski (Moshé Shlezinger). Celui-ci nous propose, par exemple, une caricature de « La mode soviétique », qui va de la jeune et élégante tchékiste à la tenue « slim fit » du malheureux citoyen soviétique de 1920.
Francis Conte est Professeur émérite à l'Université Paris-Sorbonne (titulaire de la chaire de civilisation russe et soviétique) et membre du Comité de direction du MuCEM (Marseille).
Michel Dreyfus
Sur l’antisémitisme , le premier volume de la trilogie d’Hannah Arendt Les Origines du totalitarisme, se situe à mi-chemin entre la philosophie et l’histoire. Mais il comporte de nombreuses erreurs provenant d’une ignorance de la discipline historique ainsi que d’une utilisation abondante d’écrits d’extrême droite, antisémites et nazis. Aussi, toutes les analyses sur les juifs de cour, l’émancipation des juifs européens, le rôle des Rothschild, la montée de l’antisémitisme en Europe dans les années 1880 et l’Affaire Dreyfus, présentée comme une répétition du génocide, sont erronées. Rien n’est dit sur l’antisémitisme allemand de la fin du XIXe siècle, la Grande Guerre, ses conséquences, la crise de 1929 et le nazisme. Enfin, les juifs se considèrent comme le peuple élu ; c’est pourquoi ils seraient responsables de leur malheur.
Il convient de relire Sur l’antisémitisme à l’aune de nos connaissances actuelles mais aussi bien entendu de ce que pouvait savoir H. Arendt quand elle l’a écrit en 1948. Sur ce dernier plan, le constat est accablant : H. Arendt ne tient aucun compte des débats de son temps et en particulier qui ont lieu en Allemagne de 1945 à 1949 sur les causes du nazisme. Dès lors une question se pose : pourquoi H. Arendt, juive allemande contrainte de fuir l’Allemagne en 1933, accumule-t-elle tant d’erreurs sur la question de l’antisémitisme ? Son mépris pour l’histoire et l’influence sur sa pensée du philosophe Martin Heidegger, du sioniste Kurt Blumenfeld et de l’historien Salo W. Baron apportent une réponse à cette question
Michel Dreyfus est historien, directeur de recherche émérite au CNRS et auteur de nombreux ouvrages sur l’histoire du mouvement social, notamment Le Siècle des communismes (Seuil, 2004). On lui doit également L’Antisémitisme à gauche. Histoire d’un paradoxe, 1830-2009 (La Découverte, 2009).
Renée Poznanski
« L’attitude des français face à la persécution des Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale reste l’objet de divergences entre les historiens et a même acquis ces dernières années ce que j’ai appelé une centralité interprétative et émotionnelle. En démêler les raisons et revenir aux sources pour essayer de comprendre la complexité des attitudes à diverses périodes de la guerre sera au centre de mon propos. »
Renée Poznanski (décembre 2023)
Renée Poznanski est Professeur (Emerita) au département de Politics and Government à l’Université Ben Gourion du Neguev (Israël). Parmi ses livres, Les Juifs en France pendant la Seconde guerre mondiale (1994, Hachette Littérature ; réédité en 2018, CNRS éditions avec une nouvelle Postface) ; Propagandes et Persécutions, La Résistance et le « problème juif », Fayard, 2008 a reçu le Prix (2009) Henri Hertz de la Chancellerie des Université de Paris et Drancy, Un camp en France, (avec Denis Peschanski) a été publié en 2015 (Fayard).
Sophie Benech
Ayant passé une grande partie de son enfance à Odessa, Babel est l'auteur de plusieurs textes évoquant cette ville, et tout particulièrement des "Récits d'Odessa" qui ont immortalisé le ganster juif Bénia Krik. Sophie Benech nous dévoile la vision qu'avait Babel de sa ville, et des problèmes que peut poser la traduction du savoureux dialecte d'Odessa.
Stéphanie Emilfork-Loïk
De l'histoire intime à la grande Histoire : Histoire des Emilfork 1891 - 1912