« Le Colporteur est un passeur » :
Anne Gorouben et Anne-Laure Jeanprêtre
Retour sur l’atelier du 19 novembre 2023 au Mémorial de la Shoah animé par Anne Gorouben :
« Anne-Laure Jeanprêtre a beaucoup travaillé sur l’histoire de sa famille. De ses grands-parents à l’Est. Elle a voyagé, en Roumanie, en Ukraine. À Akkerman (aujourd’hui Bilgorod-Dniestrovsky) et Odessa. Elle a photographié les lieux, une rue sableuse et le Liman à Akkerman, la cour retrouvée d’Odessa où sa grand-mère et son père vécurent quelques années, des rangées de boîtes aux lettres…
Une ou plusieurs personnes s’étant désistées au dernier moment, c’est avec Anne-Laure que nous avons entrepris une séance de travail intense.
La rue sableuse d’Akkerman, le portrait du père, le cimetière, les cartes postales envoyées, le Liman et la grand-mère en pieds, le port d’Odessa, la porte de la maison dans la cour d’Odessa, les boîtes aux lettres… et les carnets du père.
Car sa grand-mère écrivit de très nombreuses cartes postales et des courriers à sa sœur, et si elle demanda que les lettres soient détruites les cartes postales ont été conservées.
Anne-Laure est arrivée avec une quinzaines de cartes postales, un portrait photographique de son grand-père, un portrait en pied de sa grand-mère et deux portraits de sa grand-mère tenant son fils dans les bras. Et avec un précieux trésor : à 12 ans son père a relaté sur deux carnets les événements vécus à Odessa pendant la guerre civile, il avait alors environ 5 ans.
Ce texte manuscrit est bouleversant.
Nous avons commencé à retracer ensemble l’histoire de cette famille. Une grand-mère suisse, venue d’un village de montagne faire la gouvernante et enseigner le français à Akkerman vers 1913. Elle y rencontre un jeune homme juif dont les parents font du commerce de céréales, il me semble, depuis Akkerman, passant par le port d’Odessa. Elle tombe enceinte, il part pour la guerre, elle le perd. Elle accouche en février 1917 à Odessa.
Elle travaille, elle attend de rentrer en Suisse, la guerre rend tout très difficile. Le petit garçon est placé dans une école bolchévique où il est enfin nourri convenablement. Ils reviendront en Suisse en partant d’Odessa, passant par Constantinople, puis Venise. Le garçon ne connait pas son père, ni le vrai nom de son père, qu’elle lui tait. Juste avant de mourir elle lui délivrera ce nom. Il découvre que cet homme est juif et qu’il a vécu en Roumanie, puis en France, de l’autre côté du lac Léman…. Anne-Laure se souvient de la première rencontre, à Thonon, avec ce grand-père inconnu.
Anne-Laure a déjà beaucoup travaillé, réalisé deux leporello à l’aquarelle. Il me semble évident que pour la séance, il lui faut deux supports papiers grands formats, habituellement les stagiaires en utilisent un seul.
Nous agrandissons sur A3 à la photocopieuse les paysages, les portraits, en double pour certains, et avec ce matériau Anne-Laure va retracer ce voyage familial, historique, géographique, en découpant, collant, reprenant au pastel sec certaines jonctions pour créer des passages.
Il s’agit de recréer un espace, celui des archives, de la mémoire et de l’émotion.
Une carte postale représente le port d’Odessa, avec une barque au premier plan. C’est l’image de départ, nous savons déjà que le port reliera les deux villes, Akkerman et Odessa. Anne-Laure la pose au centre, elle relie les deux supports de papier, Akkerman et Odessa.
Le texte de son père, par fragments, éclaire de façon sidérante une histoire familiale plongée dans l’ombre et le silence pendant des décennies.
Anne Gorouben (19 novembre 2023)
Les prochains ateliers animés par Anne Gorouben auront lieu au Mémorial de la Shoah le dimanche 26 mai 2024 à 11h30 puis à 15h30 (tarif 12 euros – 12 participants maximum). Réservation : billetterie.memorialdelashoah.org