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Haïm Nahman Bialik

par Ariane Bendavid

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Conférence Ariane Bendavid

les Amis d'Odessa - 16 mai 2019

Né en Russie en 1873, mort en Palestine en 1934, Haïm Nahman Bialik est considéré comme le père de la littérature hébraïque moderne. Poète, nouvelliste, essayiste et éditeur, son oeuvre est simultanément engagée et universelle et témoigne de la mutation qui s'opéra au tournant du siècle dans les communautés juives d'Europe de l'Est.

Nous sommes à la fin du XIXe siècle, dans l'empire des tsars. Confinée dans la Zone de résidence, la population juive mène une vie précaire, centrée sur la tradition. Quelques intellectuels pourtant ouvrent une brèche dans le monde du ghetto et tentent une difficile cohabitation avec une société russe souvent violemment hostile. Elevé dans l'orthodoxie mais irrésistiblement attiré par le monde occidental, partagé entre l'espoir, le doute, et une nostalgie dont il ne s'affranchira jamais, Bialik tourne le dos au mode de vie sclérosé de ses pères. Il deviendra la figure de proue de la littérature hébraïque moderne, l'une des personnalités juives les plus influentes de son temps, et le porte-parole de sa génération. Témoin et victime de la ruine d'un monde, il sera aussi l'un des artisans de sa renaissance. Face à la résignation de ses coreligionnaires, il fera entendre, inlassablement, la voix de la révolte. Contraint à l'exil, il finira par trouver en Palestine la liberté et la sérénité que la Russie n'avait su lui offrir. Inspirée par le romantisme et le symbolisme, son oeuvre est jusqu'à aujourd'hui une référence incontournable.

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Haïm Nahman Bialik, Un voyage lointain, traduction en bilingue de son œuvre poétique par Ariane Bendavid, Stavit, 2004

Haïm Nahman Bialik, Le livre du feu et autres nouvelles, traduction de son œuvre en prose par Ariane Bendavid, Caractères, 2008

Massacre (1)

 

O cieux, implorez grâce pour moi!

S'il est en vous un Dieu, et vers lui un chemin —

Que je n'ai pas trouvé —

Priez, priez pour moi!

Mon cœur est mort, et de mes lèvres la prière est absente,

Ma force m'abandonne, tout espoir m'a quitté —

Jusqu'à quand, jusqu'où, jusqu'à quand (2)?

 

Bourreau! Voici mon cou — lève-toi, égorge-moi!

Abats-moi comme un chien, ta main est armée d'une hache (3),

Et pour moi l'univers n'est plus qu'un échafaud —

Et nous — nous sommes insignifiants!

Ma mort est légitime — frappe ma nuque, et que le sang du meurtre

D'enfants et de vieillards jaillisse sur ta chemise,

Et jamais ne s'efface.

 

S'il est une justice — qu'aujourd'hui elle paraisse!

Mais si elle se dévoile après que j'ai quitté

Le monde d'ici-bas,

Que son trône soit à jamais anéanti!

Et que les cieux pourrissent dans une éternelle iniquité;

Quant à vous, démons, allez dans votre ignominie (4),

De votre sang vivez, nourrissez-vous (5).

 

Et maudit soit celui qui crie vengeance!

Satan lui-même n'a pas encore conçu la peine

Qui du sang d'un enfant puisse être la vengeance —

Puisse ce sang pénétrer jusqu'au fond de l'abîme (6)!

Puisse-t-il envahir l'abysse des ténèbres,

Et dans l'obscurité, éroder et ronger

Les fondements décomposés de l'univers entier.

 

Yiar 1903

Poème traduit de l'hébreu par Ariane Bendavid

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(1) Poème rédigé au lendemain du pogrom de Kishinev.

(2) Psaumes 94, 3.

(3) Psaumes 89, 14. Bialik remplace le mot « puissance » par le mot « hache ».

(4) Juges 6, 14 : Bialik remplace le mot "courage" par le mot "ignominie".

(5) Ezéchiel  16, 6.

(6) Yebamot 92 a : « Que la justice perce la montagne ». Bialik remplace le mot Din, « justice » par le mot Dam, « sang », et le mot Har , « montagne » par le mot Tehom, « abîme ».

Au lever du soleil (1)

Au lever du soleil, sur les montagnes vous découvrirez

Un or d'une pureté sans égale.

Devancez les premiers rayons, abreuvez de lumière

Chacun votre âme et votre cœur.

Que la splendeur de l'aube divine, riche d'une vigueur nouvelle,

S'épanche sur vous, et vous inonde;

Qu'en vos cœurs flétris naisse le renouveau!

Que toute impureté en lui soit sanctifiée!

Ce précieux trésor, en vous gardé, enfoui,

Ressuscitera vos cœurs.

Si épreuves et misère vous accablaient hier —

Vous serez désormais riches et purifiés.

Vous qui vous consumez dans d'obscures ténèbres,

Implorez le soleil, le soleil!

 

Alors baignés d'une lumineuse rosée, vous rejoindrez vos frères,

Qui puisant vote sève, reviendront à la vie;

Que chacun porte alors à son père, à son frère

Le message des lointains.

Que votre lumière se diffuse alentour —

Qu'elle rayonne et éclaire votre génération;

Si elle pénètre alors dans les caves obscures,

Y découvre vos frères opprimés, humiliés;

Tremblante, cette lueur sur leur cœur appuyée

Doucement murmurera:

« Lève-toi, mon frère, et prie — la prière

Et l'espoir nous sont encore permis — Espère! »

Il se lèvera alors, cet enfant des ténèbres,

Assoiffé de soleil, de soleil!

 

Et si en vain vos yeux attendent la lumière —

Créez-la du néant!

Extrayez-la du roc, creusez dans les rochers,

Arrachez-la des replis de vos cœurs.

Alors, par le Dieu de lumière, elle se dévoilera,

Et pour l'éternité s'épanchera, sans jamais disparaître;

Vos frères égarés s'éveilleront aussi,

Et vous imploreront,

Ils placeront en vous tous les espoirs

Sacrés — dont leurs enfants se nourriront;

Chaque génération lèguera son héritage:

Vie, labeur, espérance!

O vous, sevrés d'obscurité, arrachés aux ténèbres —

Suspendez un soleil au-dessus de vos têtes, un soleil!

 

Kishinev, 24 Sivan 1903

Poème traduit de l'hébreu par Ariane Bendavid

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(1) Ce poème est une seconde réaction au pogrom de Khishinev

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