Les Juifs et l'identité française
par Béatrice Philippe
Modeste comme toujours je parlerai en introduction de moi.
Mais rassurez-vous je ne suis que le mannequin, l’ombre d’une autre histoire qui nous passionne tous. Et à juste titre.
J’étais au collège puis au lycée une élève moyenne plutôt tentée par les promenades, ballades et autres distractions honnêtes, que par la concentration sur les théorèmes et autres futilités.
Evidemment, j’avais une excuse toute prête les jours où il fallait faire signer un bulletin de notes indigent face à une mère qui n’appréciait pas mes facéties : les évènements ne m’avaient pas permis de suivre la 9ème, la 8ème, le 7ème, et la 6ème en France pour cause de bombardements, d’exode, d’occupation du territoire, de départ en Suisse, je n’avais pas les bases comme disaient poliment les profs….
Mais la guerre était terminée, les nombreuses excuses pour ne pas travailler en classe n’excusaient rien. J’étais tout bonnement une écervelée et maman ne riait pas.
Et de me citer le nom de petites copines qui avaient souffert beaucoup plus que moi, protégée et contrairement à moi leur cursus scolaire était bon. Exemples : Michèle, père prisonnier, mère sans ressources, trois frères et sœurs, Magdeleine, père fusillé, Stella parents morts en Germanie nazie, elle doit aller dans un home mais son oncle, un tailleur va se charger de cette enfant, tant mieux. Le cas des autres était moins reluisant, père STO mère on ne veut pas savoir où, Christine père en prison, marché noir.
La mercuriale momentanément achevée, maman me confiait avec moult recommandations le ticket E459 qui donnait droit aux J2 à 100 gr d’ersatz de chocolat …Comme nous « étions mal vues » ma mère refusant de lui faire des amabilités et de payer au marché noir, je craignais la crémière.
Seule maman, oui seule elle l’était, son mari ayant disparu dans les camps, il lui restait une gamine qui entrait dans l’âge qualifié d’ingrat, mais elle ne lâchait rien et ne riait pas lorsqu’il s’agissait de mon éducation, de la tenue et de la fidélité que l’on doit à son pays, à nos morts héroïques. Je l’entends encore « vois tu, nous les Français, sommes dans le même pétrin, il faut s’en sortir ; travailler pour que notre pays retrouve et sa puissance et nous, le bonheur ; alors travaille !
Pourtant maman n’avait rien d’insensible, oh que non, c’était l’inverse elle aimait les gens, elle avait le gout du beau, des fleurs, des livres, de la vie.
Le théâtre, le cinéma, les tenues ultra chics de maman confectionnées chez Madame Bécu « d’après un modèle de chez Lanvin », lui procuraient de réelles joies comme celle de me voir attribuer des prix à la fin de l’année.
Parfois elle se révoltait pour de menus faits ; ainsi sa colère montait chaque fois qu’elle passait devant la loge de la mère Salmon notre concierge, elle ne lui pardonnait pas de nous avoir, en 1942, chipé un fauteuil.
Parfois, au contraire, elle se montrait d’une indulgence que même la gamine que j’étais trouvait incongrue, elle voulait reprendre sa femme de ménage qui, alors que la Gestapo était venue l’arrêter, recomptait ses pots de yoghourt consignés… Elle était encore émue chaque fois qu’elle évoquait cette femme qui dans le métro bondé voyant monter des policiers dans notre wagon chargés de contrôler les identités, avait mis son bébé sur les genoux de sa voisine, une inconnue. Celle ci n’avait pas moufté mais embrassé le poupon comme pour rassurer la malheureuse maman dont elle serrait subrepticement la main. Autour de nous, les gens avaient tous fait semblant de pas voir la scène » mais certains se mouchaient.
Mais elle avait ses ennemis ; ceux qui avaient trahi le pays et s’étaient en somme moqués de la parole donnée, Darlan, Pucheu, Laval, Doriot et consorts, les journalistes de Radio Paris, d’autres l’avaient simplement déçus, ceux-là méritaient notre mépris. Le verdict était clair pour les infâmes collabos, 12 balles dans la peau. Point commun entre les infâmes et les « décevants », l’amour de l’argent et de la notoriété.
Mais que penser de ces infortunés qui ont souffert et qui ont été assassinés, à ces juifs qui ont croupi au Vél'd'hiv : c’était l’humanité que l’on sacrifiait.
Ils ne préparaient rien de dangereux, des gens comme tout le monde, d’innocentes victimes. La France les avait reçus, son devoir, son honneur était de les protéger.
Ils ne prônaient aucune révolte, ils étaient communistes ? Bon, quelques-uns par idéalisme, pas tous, ces vieux avec leurs caftans, ils devaient être mal vus dans leurs kolkhoz. Avant c’était les russes du tsar qui les massacraient, pauvres, pauvres gens, on les tourne en dérision en se moquant de leurs vêtures, de leur accent, il faudrait qu’ils demeurent en France. Leurs enfants ne parleraient plus cette langue désuète souvenir d’un lointain douloureux mais qui a, dit-on, reproduit d’excellents poètes, des philosophes, il faut qu’ils s’expriment en bon français.
En France, nous comprenons les gens, on les écoute (enfin pas en ce moment), on les chasse mais pourquoi ? Lorsqu’ils reviendront, quelques-uns partiront pour cette Palestine, dont ils rêvent, c’est courageux de leur part. Te souviens-tu d’une tirelire chez ta grand-mère ? Nous y mettions de temps à autre un peu de notre argent pour planter des arbres là-bas. Peut-être que certains d’entre eux choisiront eux-mêmes cette solution ? Mais en tout cas, ils doivent avoir leur place chez nous. On leur doit bien cela ; ce sont de braves gens.
Maintenant 70 ans plus tard, si les problèmes ont changé les interrogations demeurent, nombre d’entre nous se posent des questions sur ce qui se produit journellement, sur l’immigration et les difficultés d’intégration.
Pour certains, c’est un fait inéluctable : nous devons partager avec ceux qui sont en danger, recevoir tous ceux qui veulent venir. « Rappelle-toi que tu as été un étranger en Égypte ».
A quoi les premiers rétorquent, cet exode des peuples aboutira à une catastrophe, les colonnes du Temple vacillent et vont être rasées par un raz de marée qui engloutira notre civilisation, notre mode de vie, nos petits enfants.
Car, disent-il, ces gens ne peuvent pas, ne veulent pas s’intégrer contrairement aux Italiens aux Polonais, aux Espagnols, aux juifs venus de Pologne, de Bessarabie, d’Odessa aussi de Vienne et de Berlin. Personne n’a été accueilli avec un tapis rouge et les conditions étaient bien plus mauvaises pour les nouveaux venus que de nos jours.
Je ne dis rien à ce sujet car je crains les critiques acerbes des deux extrêmes… Cela me ramène aux juifs et à un des faits les plus navrants est la conférence d’Evian en 1938, les Allemands voulaient être Judenrein et ne le cachaient pas.
Nul pays ne voulait d’eux, ni ceux qui avaient d’énormes territoires vides, ni les EU pourtant chantres de la bonne conscience. Les journaux allemands pouvaient se permettre une horrible plaisanterie : « Juifs à vendre à l’encan. Qui en veut ? »
Seuls quelques pays dont la France ont accepté d’en recevoir, mais progressivement, ils les ont internés dans des camps pouilleux, Gurs, Récebedou et d’autres, hélas cherchaient à s’en débarrasser. Nous savons ce qu’ils adviendront. ….
En 1939, j’étais en vacances en Bretagne avec ma pelle et mon seau et je faisais le concours du plus beau château de sable. Je souhaitais ardemment avoir un prix, une belle poupée en costume breton, je ne l’eus pas et c’était justice car mon château n’avait l’air de rien, mais je pleurai abondamment.
A chacun ses soucis.
Puis ce fut la guerre, les bombardements, l’essai des masques à gaz qui me faisaient si peur, l’exode cette fuite éperdue, l’occupation, le refuge en Suisse pour moi et pour mon cousin âgé de 6 mois.
Nul membre adulte de la famille ne voulait choisir le rôle peu exaltant de réfugiés. Nul ne nous a suivis. Pour eux, le statut des juifs édicté par Pétain, bof, un chiffon de papier, « le maréchal n’a rien d’un antisémite, il veut protéger, gagner du temps » murmurait-on en étant pas si certains d’avoir raison.
C’est les envahisseurs qu’il faut chasser, disait ma mère.
Ma pauvre mère se trompait, les envahisseurs ont été chassés, c’est exact mais plus tard et à quel prix ; en attendant, nous n’étions plus chez nous, la France était battue et notre démocratie remplacée par un glorieux vieillard pour qui, tous ou presque tous avaient les yeux de Chimène. Pourquoi cette confiance aveugle ? Cela se conçoit dans une certaine mesure pour les anciens combattants qui croyaient dur comme fer que Pétain était le vainqueur de Verdun.
Son beau visage calme de grand-père juste et bon papi lui valait la sympathie des femmes, et son air altier celle des hommes.
Ils étaient donc stupides ?, direz-vous.
Je proteste ils n’étaient pas stupides mais confiants, la France, leur France celle des Arts, des Armes et des Lois, souffrait, et tous souffraient (c’était de notre faute couinait l’inénarrable P)… Marechal, nous voilà, donc nous aussi allons souffrir mais on gagnera, on ne bouge pas, on ne part pas.
Nous n’avions rien compris. Et les réfugiés, si nous parlions d’eux ?
Le cas des refugiés en France après 1927 était à priori le plus pénible. En effet, par décision du gouvernement, les naturalisations obtenues après cette date étaient nulles, ces réfugiés étaient donc des apatrides, en principe protégés par la Loi Nansen, que nul ne respectait.
Ils auraient dû se méfier, ils ne l’ont pas fait parce qu’ils pensaient que rien ne pouvait leur arriver en France, et du reste que pourquoi pas même en Allemagne et en Autriche, cela « allait se tasser ».
Plaisanterie sinistre que cela ; il ne fallait pas être grand clerc pour savoir que Dachau avait été inaugurée en mars 1933, la nuit de cristal a eu lieu en novembre 1938, entre 1931et 1938 les assassinats, les tortures, les SS, la gestapo auraient dû bouleverser les foules. Mais quelle était la solution ? Que fallait-il qu’ils fassent ? Qu’ils fassent la guerre ?
Nul ne la souhaitait, 14-18 avait anéanti toute une génération, trop de veuves, trop d’orphelins, trop de déçus, trop de gueules cassées trop de ruines mais à partir de 38 le conflit avec l’Allemagne expansionniste, réarmée inhumaine devenait inéluctable.
Alors tous ont cru que le miracle de 14 allait se répéter et que nous allions gagner la guerre contre ces teutons sauvages, et « tout ça fait d’excellents français, d’excellents soldats », chantait Maurice Chevalier. Les quinquagénaires qui avait fait 14-18 étaient prêts à remettre sac au dos et puis… ce fut la catastrophe la stupeur, la défaite, l’invasion de la France.
Notre pays était devenu une souricière pour la plupart. Où voulez-vous aller quand les frontières sont closes et qu’il faudrait de toute façon une autorisation de départ et une autorisation de l’éventuel pays d’accueil ; quelques familles souvent privilégiées ont quitté le pays lorsque la frontière avec l’Espagne était encore ouverte et de là se sont embarquées pour les USA mais ce ne sont que cas particuliers. Les queues devant les portes de divers consulats et devant les instances françaises s’allongent… sont suivies de bien peu de résultats.
S’évader. Partir en fraude. Que de graves dangers à surmonter. Deux options. Première option : l’étranger.
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L’Espagne. Se diriger vers l’Espagne pour rejoindre les soldats de la France libre ce passage est difficile car montagneux. En fait et sauf exceptions, ce passage sera celui de personnes cherchant à s’engager dans les FFL (Forces Françaises Libres) ;
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La Suisse. Passage souvent choisi par des familles. Le danger d’être refoulé à la frontière par le pays d’accueil est réel. Ce petit pays dont les approvisionnements sont fournis par l’étranger soit à cette époque l’Allemagne.
Comment recevoir des réfugiés et ne pas se faire boycotter par les allemands.
D’autre part, ce pays démocratique, très engagé dans la croix rouge n’est pas forcement ravi d’accueillir des étrangers n’ayant pour toute fortune qu’un sac à dos… juifs de surcroît. D’autre part, la doctrine de Vichy « travail, famille, patrie » (même si elle n’est pas appliquée) plaît aux Suisses très attachés aux traditions. Donc des refoulements auront lieu, puis à diverses reprises le règlement est modifié, certaines catégories de personnes sont admises mais non les Français soit disant protégés par leur gouvernement ne sont pas admis. Que voulez vous la barque est pleine. Finalement sous la pression des journaux de gauche des associations protestantes la frontière est ouverte. Imaginez-vous car ce cas existe, des combattants de Verdun qui ont cru en la « loyauté du maréchal »transformés en vagabonds …soyons juste , les juifs allemands citoyens depuis moins longtemps que les Français avaient été très courageux et certains au dessus de l’étoile auraient aimé épingler leurs croix de fer.
Automne 1942. Lorsque la zone sud n’est pas encore occupée , les juifs français sont relativement à l’abri de l’autre côté du Rhône mais s’y rendre n’est pas une sinécure encore faut-il passer la zone de démarcation avec de vrais ou de faux papiers. De nombreux films rapportent ces minutes d’angoisse et les journaux antisémites peuvent gloser en évoquant ces nez crochus qui se vautrent au soleil, oubliant de mentionner que tout travail leur est officiellement interdît, qu’ils n’ont plus de logement en zone nord…
Il n’empêche, l’occupation du territoire en novembre1942 est évidemment une marche de plus vers l’enfer mais il reste la petite zone italienne… qui à son tour tombera sous le hachoir des nazis en mai 1943. Pour les nazis, un juif est un juif, ils se soucient fort peu du lieu de naissance des individus, ils sont tous embarqués direction les horribles KZ avec un court arrêt à Drancy.
Peu ou pas d’argent, peu de relations françaises. Tout cela n’était pas fameux et vous menait droit à Drancy.
Aussi naïfs que nous, les hommes étrangers restés en zone occupée se sont déclarés comme juifs dans les mairies, ils avaient même fait la queue. Ils voulaient être en règle. Quelle règle ?
A partir de l’été 1942, les scènes insoutenables se déroulant dans les camps de la zone sud modifient la perception de nombre de Français, choquent ceux qui y assistent et leur perception des juifs évolue.
À Toulouse, le Cardinal Saliège s’indigne solennellement et sa lettre pastorale sera lue dans chaque église à la messe du dimanche. De même pour celle de Mgr Théas à Montauban.
Les protestations de nombreux curés montrent que les chrétiens dans leur majorité sont écœurés. Dans les villes, dans les campagnes, face aux sévices dont sont victimes les juifs, ils changent leurs attitudes. On les voyait riches à millions, ils n’ont rien qu’ une valise en carton ; de modestes paysans, des instituteurs , des bourgeois, des curés comme l’abbé Glasberg à Lyon, des prêtres de l’église de St Ferdinand des Ternes qui refusent de fournir aux enquêteurs le registre des nouveaux baptisés, de l’abbé Ménardet dans son village non loin de Provins qui cachait enfants et adultes sous l’œil bienveillant de la population en majorité anticléricale…
Des œuvres catholiques ou protestantes, le pasteur Trocmé et les siens au Chambon-sur-Lignon , le consul du Portugal Soussa Mendés à Bordeaux ont risqué leur vie pour sauver des innocents, la liste en serait très longue. Des gens de toute condition se sont dévoués pour sauver leur prochain.
« Qui sauve un homme, sauve l’humanité » (Talmud).
Il serait injuste de ne pas citer les œuvres juives notamment l’OSE (Œuvre sociale pour l’enfance), les scouts israélites de France, et tous ces jeunes qui ont risqué leur vie en « faisant passer » des gens en détresse.
Le cas des juifs communistes est différent. Le parti a suivi ses dirigeants qui sur ordre de Moscou veut sauver la paix, donc pactiser avec l’Allemagne nazie. Le sauvetage des juifs dans ce contexte n’est pas une priorité. Si des communistes agissent néanmoins rapidement pour tenter de sauver des civils menacés, c’est à titre individuel.
La situation change du tout au tout avec le début de la grande guerre patriotique c’est à dire par l’invasion allemande en Russie. Rapidement les communistes s’engagent dans la résistance notamment dans les rangs de la MOI (un syndicat ouvrier majoritairement composé de travailleurs étrangers et proches du parti communiste). Espagnols républicains fuyant Franco, des italiens antifascistes contre Mussolini, des arméniens, victimes de turcs et de nombreux juifs des pays de l’Est, sont réunis dans cette branche très active de la Résistance, chacun se souvient de l’affiche rouge et de la mise à mort de ces jeunes hommes décidés qui ont perdu les leurs dans les zones envahies par de nombreux juifs.
Et les juifs français ?
Ils étaient donc stupides, enfoncés dans leurs certitudes et dans leurs fauteuils dites-vous ? Ils avaient « honte » de ces étrangers et ne voulaient surtout pas qu’un amalgame soit fait entre eux et ces « Pollack ».
Ils ne voulaient pas que leurs compatriotes puissent les accuser de faire la guerre pour les juifs.
Ils étaient divisés quant à la politique menée par leur pays.
Je proteste.
Mon sujet est celui d’une intégration des juifs de France et en dépit des apparences, je ne l’oublie pas… Qui étaient-ils ? D’où venaient-ils ?
Ils étaient simplement français, un peu juifs sur les bords. Les remarques sur leur attitude réservée face aux étrangers est partiellement exacte mais avec moult réserves. Collecter de l’argent, leur procurer un logement, du travail (dans la limite de ce qui était autorisé), les aider dans leurs démarches interminables à la préfecture. Tout cela fut fait, avec beaucoup de bonne volonté par ailleurs. Lorsque Edouard Daladier puis Paul Reynaud succèdent à Léon Blum, la guerre approche et les mesures concernant les immigrés sont beaucoup plus drastiques avec notamment la création des camps où sont internés les étrangers. Quelle que soit leur option, les français d’origine juive ne pouvaient pas protester, la crainte d’être tenus pour responsable du carnage qui se prépare les tenaille. La France et ses alliés ne font pas la guerre pour les juifs mais pour sauver leur pays de la dictature.
Mais au fait qui étaient ces juifs français ?
Souvent résidents en France depuis des siècles et citoyens depuis 1790, ils étaient fous de la République, et l’avaient défendue lors de tous les conflits. Cet ancien petit peuple de colporteurs d’origine alsacienne en majorité mais aussi lorraine, bordelaise, et comtadine a généré de grandes figures et a participé à notre histoire nationale. Ils venaient du Comtat Venaissin, du Bordelais, ils vivaient déjà à Paris.
Nous ne pouvons dans ce cadre traiter de la totalité des implantations juives car notre exposé serait alourdi. Nous nous bornerons donc à évoquer le cas des juifs alsaciens numériquement les plus nombreux à cette époque. En chiffres ronds, 20 000 juifs sont recensés en terre d’Alsace sur un total de 40 000, or l’on dit qu’un Alsacien aime la France plus qu’un Français de l’intérieur et un juif alsacien encore plus.
Comment en étaient-ils arrivés là ?
Remontons de quelques siècles en arrière pour mieux comprendre.
Nos ancêtres étaient des campagnards mais non des cultivateurs proprement dit : la culture de la terre leur ayant été interdite par de multiples décisions ecclésiastiques.
Ils étaient de très anciens habitants de la France mais n’ont pu y demeurer au fil des siècles que dans le Comtat, terre papale, en Alsace et dans le Bordelais : ils ont été « expulsés ».
Prenons justement le cas de l’Alsace.
Au XVIIIe siècle, cette province (et pour certains lieux jusqu’à la Révolution) se présentait alors sous forme d’un patchwork. Certaines principautés dépendaient de princes allemands et du Saint-Empire romain germanique, d’autres de l’Église, enfin subsistaient des villes libres ayant leur propre charte qui n’avaient nulle envie de se laisser diriger.
De surcroît, catholiques et protestants vivaient dans cette province et leurs rapports étaient rien moins que chaleureux ; le pouvoir central était lointain et les Alsaciens ne s’en souciaient guère.
Les juifs étaient là, tolérés, mais selon une expression dure, mais hélas exacte, il leur fallait payer pour l’air qu’ils respiraient ; payer pour avoir le droit de prendre épouse, payer pour fêter la naissance de chaque enfant, payer pour avoir le droit d’exercer le métier de brocanteur. Après le rattachement à la France, par les traités de Westphalie et de Munster (1648 ,1697), leur sort n’est que peu modifié, la France n’a pas de raison de changer les lois et les coutumes d’une province qui est toute nouvelle dans le royaume, elle ne chasse pas ces juifs (qui par ailleurs ne peuvent sortir de cette province sauf exception) et bien entendu les taxes demeurent inchangées. Certes, les paysans étaient écrasés par des taxes diverses mais hélas, les juifs étaient « privilégiés » si l’on peut dire car ils payaient pour le dauphin et la dauphine, pour nos victoires, pour les naissances, les maladies et les guérisons, les décès, ils priaient et payaient. Arrêtons ces comptes de crèmerie, cet apport devait en principe combler les trous des budgets et les appétits des uns et des autres. De surcroît, de nombreuses entraves les brimaient entre autres demandes d’autorisation de séjour, interdiction d’ouvrir un commerce sauf autorisation, impossibilité sauf exception de fréquenter les collèges et l’université, la liste est plus longue que ces quelques exemples.
En dépit des réclamations, ils étaient pourtant utiles dans cette société rurale, ils allaient de village en village vendant des objets nécessaires, casseroles et chaudrons, tissus, images alors que les marchands n’existaient que peu, ils étaient au courant de tout, organisaient les mariages et étaient un lien dans une campagne où l’habitat est dispersé. Ils faisaient partie du paysage. Par ailleurs, ils n’étaient pas nombreux et disséminés dans les villages. Les villes leur refusant le droit d’établissement, certaines d’entre elles (en particulier Strasbourg), leur faisaient obligation de s’acquitter d’un péage corporel, leur interdisaient de surcroît de demeurer dans la cité, une fois la nuit tombée.
Dans leurs villages, les juifs se regroupent pour diverses raisons, pour célébrer le culte car s’il n’est pas nécessaire de se rendre dans une synagogue pour prier en revanche, il faut que dix fidèles de sexe masculin soient présents. Les juifs forment des communautés, et celles-ci jouissent de la protection royale, élisent leurs notables qui s’expriment à leur place, le népotisme était de règle. Certains de ces notables dont on a gardé les noms en mémoire furent efficaces et courageux. Le plus connu étant Cerf Berr. À la fin du XVIIIe siècle, il obtient l’abolissement du péage à l’entrée de Strasbourg selon l’édit du roi Louis XVI qui précise : « il nous déplaît que certains de nos sujets soient assimilés à des animaux … ».
Finalement ils étaient peu nombreux : le premier recensement effectué sous Louis XVI compte moins de 20 000 âmes.
Quant à leur habitat, ne nous imaginons pas que Seppois-le-Bas ressemblait à Vitebsk ou au mellah marocain. Ils ne redoutaient pas tout au moins à cette époque une attaque en règle des cosaques, ils ne devaient pas descendre des trottoirs quand ils croisaient un habitant du lieu (du reste il n’y avait pas de trottoir)…. mais contrairement aux paysans qui vivaient établis dans des fermes souvent isolées, les juifs se regroupaient dans quelques rues autour d’un jardinet souvent en plein centre du bourg. Leur sociabilité se limitait essentiellement à la communauté.
Les mariages étaient précoces et se faisaient souvent par les entremetteurs qui connaissent évidemment les perles rares et leur famille dans chaque village.
Ces entremetteurs (ou entremetteuses) étaient concurrencés par les brocanteurs et même par les marchands de bestiaux qui circulaient dans toute la région.
Ces gens étaient il malheureux ?
La plupart étaient très modestes dans un monde qui l’était aussi car les populations qui les entouraient étaient dans leur majorité démunies.
Parfois, mais le phénomène était rare, l’un d’eux qui gérait les impôts des autres ou un puissant fournisseur en grain atteignait la richesse ; dans tous les ouvrages on vous racontera que Cerf Berr avait de nombreux domestiques, sans doute est-ce exact mais d’une part les fameux domestiques étaient souvent des parents qui vivaient dans le foyer plus opulent du riche, d’autre part ces fortunes étaient très volatiles, les faillites étaient fréquentes et gérer l’argent d’autrui en l’absence de banques est un exercice palpitant peut être mais très dangereux.
Depuis la fin du Moyen Age, des massacres de populations juives n’ont plus lieu en dehors de débordements limités. Par contre, les mesquineries étaient d’usage et notamment pendant le carême ; la venue des frères prêcheurs volubiles et fustigeant sans cesse le peuple déicide excitait la hargne de leurs ouailles. Les dégâts sont limités mais les malheureux juifs ont longtemps tremblé. Pourtant, ils faisaient partie du paysage, mieux que dans d’autres régions, ils ont vécu dans ces petits villages une vie relativement mesquine mais assez sereine.
Les reproches qu’on leur adressait étaient pour une part justifiés bien qu’excusables mais, dans la grande majeure partie des cas le fruit de fantasmes archaïques.
Prêter de l’argent est toujours un exercice dangereux puisque personne n’aime rembourser. Donc, il était aisé d’attribuer aux prêteurs juifs des méthodes usuraires alors que l’examen ou le décryptage de l’endettement dans d’autres régions dont les juifs étaient totalement absents, montre qu’en Alsace, ils étaient semblables aux usages en cours.
On leur reprochait également de refuser de se mêler à la population et de vivre différemment. Certes, la religion juive comporte des interdits, notamment alimentaires mais cela n’a jamais empêché le vivre ensemble.
Mais il faut sans doute se demander si ce n’est pas par nécessité qu’ils se regroupaient autant que possible, pour se défendre, mais surtout pour pratiquer le culte. D’autre part, et c’est sans doute l’essentiel, cela les rassurait et au sein de leur communauté, ils pouvaient attendre aide et chaleur que leurs voisins chrétiens leur refusait.
Des réformes
Cela faisait des siècles que la condition des juifs n’avait guère bougé ; or, comme leurs contemporains ils sont toujours tributaires de l’histoire et en ressentent davantage les secousses, ils ne vivent pas dans une tour d’ivoire hermétiquement close ; or, notamment dans la seconde moitié du XVIIIe siècle l’Europe bouge, en tout cas l’Europe occidentale ; le monde est vu sous une autre optique, ce n’est plus Dieu qui le dirige en tout cas cette prédominance divine est mise en doute par les philosophes des Lumières. Je me dois de vous présenter cet homme extraordinaire Moses Mendelssohn. Il est né en Allemagne et les bonnes fées ne s’étaient a priori pas penchées sur son berceau car la famille était pauvre et lui un peu bossu mais cet enfant prodige parlait, lisait et écrivait plusieurs langues. Ce philosophe allemand maîtrisait une énorme culture et il voulait en faire profiter ses contemporains. Les juifs d’abord dont les gentils n’en comprenaient pas les livres. Les rapprocher des juifs pour leur faire comprendre que loin d’être des « sauvages » ou des usuriers, ils détenaient des trésors, la Tora, les psaumes mais il fallait les rendre accessible au plus grand nombre donc les traduire en langue vernaculaire afin que chacun puisse les lire et savoir de quoi il parle. Il voulait que les juifs de leur côté deviennent plus ouvert au monde extérieur, il leur faut donc abandonner le yiddish, s’exprimer en une langue allemande avec un accent parfait. Moderniser le judaïsme, rendre son culte moins austère et moins orientalisant. Chaque personne est un homme catholique à la messe, un protestant au Temple et un juif à la synagogue mais surtout et toujours un homme. Tel est Moses Mendelssohn qui entretien une correspondance avec tous les philosophes de son temps, qui fait trembler les certitudes. Ses ouvrages étaient exportés en cachette pour être lus sous le manteau... en France
La raison c’est quoi ?
Le génial précurseur se nomme Montesquieu puis ce fut Rousseau, Voltaire, Diderot. Certes, tout un chacun n’a pas lu ces auteurs mais au XVIIIe siècle ce sont eux qui ont préparé la Révolution, qui ont lancé les idées neuves, qui ont fait changer le monde cultivé. Ce sont eux qui ont déclaré que l’homme sur terre devait aspirer au bonheur et au salut de l’âme. L’homme ne doit pas subir mais dans une société organisée prendre son destin en mains car l’homme est pourvu de raison. C’est la raison humaine qui doit l’emporter, le monde lui appartient.
Ces principes qui placent l’homme au-dessus de toutes choses ne peuvent qu’irriter l’église mais où est Dieu, caché au fond des consciences, au fond des placards ? Dieu n’est plus le premier servi… et les juifs dans tout cela ? Puisque ce sont des hommes, ne pourraient-ils pas participer au bien-être de tous, au bien de tous.
Nos braves juifs des campagnes n’ont pas participé à cette polémique, hormis sans doute une poignée d’entre eux, habitants de la ville. Pourquoi croyez-vous que les juifs alsaciens sujets du roi Louis XVI qui avaient ponctuellement amélioré leur situation adhèrent à des principes révolutionnaires ? Ce n’étaient ni des révolutionnaires ni des docteurs en droit public, bien peu étaient au sommet de la pyramide. La société des gentils leur était close.
Pleins de bonne volonté, les Constituants ont cherché quelques années plus tard à comprendre les juifs apparemment des hommes de raison mais mis sur le côté. Ils planchèrent sur cette question déjà posée quelques années plus tôt lors d’un concours proposé à l’académie de Metz en 1781 : « Est-il des moyens de rendre les juifs plus heureux et plus utiles ». Le gagnant du concours est un prêtre l’abbé Grégoire qui plaide en faveur de l’émancipation des juifs. Si les chrétiens leur ouvrent les bras, les juifs s’amenderont. « Donnez-leur une patrie, ils la chériront », écrit-il. L’abbé est certes un saint homme mais ses propositions reposent en fait sur une vision chrétienne du sujet et sont déjà hors-jeu et inconcevables dans un pays qui dès 1792 fera une guerre sévère au catholicisme.
Enfin la Révolution…
Après de longs débats contradictoires, et alors que le principe des Droits de l’homme avait été adopté dès août 1789, les Alsaciens, contrairement à leurs cousins Bordelais et Comtadins, durent attendre jusqu’au dernier jour de la législative, le 21 septembre 1791 pour obtenir leur émancipation pleine et totale.
Cet acte était un fait extraordinaire, unique car aucune condition d’instruction, de moralité ou de richesse ne venait restreindre le décret. Au fond, qu’ils soient des voyous ou des hommes de bien importait peu.
Ils sont sur un sol français, ils sont français, c’est tout !
Vu leur faible poids numérique, vu l’indifférence de la majorité, la détestation de certains, l’acte fut très courageux, un acte de chevalerie a même dit plus tard un auteur juif.
« Les Droits de l’homme sont notre Torah », dira emphatiquement Ben Baruch Créhange, un instituteur juif en 1848.
Et Napoléon arriva.
Se demander s’il aimait les juifs est absurde, il n’aimait personne hormis lui-même et la grandeur de la France.
Il aimait l’ordre et fils de cette Révolution, il voulait en finir avec ses désordres, tout en en conservant les acquis essentiels.
Il voulait avant tout que les Français soient unis, pas un shako ne devait dépasser, les juifs étaient un petit caillou dans sa chaussure car les petits élus locaux se plaignaient d’eux.
En 1806, l’aigle impérial règne sur le pays et 99% des français sont catholiques et majoritairement choqués par les persécutions dont l’église et les prêtres ont été victimes pendant la Révolution. Rétablir des cadres intermédiaires pour mieux gouverner est une idée de génie de Napoléon. Napoléon avait compris que les corps intermédiaires bien manipulés pouvaient devenir pour le pouvoir une merveilleuse courroie de transmission.
En signant le Concordat avec l’Eglise catholique, Bonaparte alors consul avait assuré la paix religieuse.
Et les juifs ?
Ils ne sont qu’une poignée mais attirent l’ire des Alsacien. En leur imposant des règles de bonne conduite, en leur donnant un statut, Napoléon répondra aussi aux vœux de leurs anciens notables qui ne seront pas mécontents de voir l’empereur réorganiser leur culte, car ils souhaitent le retour de la discipline surveillée en l’occurrence par un Etat fort.
Enfin, réunir les juifs si méprisés en Europe orientale ou ailleurs, dans la grande capitale de Paris, les couvrir de respect et imposer sa volonté voilà de quoi impressionner les potentats européens.
Intégrer les juifs à la société en posant des questions dont il peut aisément deviner les réponses témoigne d’une grande qualité de diplomatie.
En fait, il avait en face de lui une population qui ne demandait qu’à s’intégrer, qui était très fière du titre de français et quelques notables tout à fait convaincus, instruits et choisis par les préfets.
155 notables juifs venus de France et d’Italie sont donc réunis en grande pompe dans une salle de l’Hôtel de ville.
Dès le lendemain, 12 questions leur sont soumises. La plupart d’entre elles portent sur l’attachement des juifs à la France. Elles ne font l’objet d’aucune critique, oui, les juifs sont prêts à la défendre et à mourir pour « Elle ».
A certaines questions, il connaît la réponse et les pose intentionnellement pour bien montrer que la loi du pays est toujours supérieure à la loi particulière, tout se passe fort bien.
Une seule question donne lieu à des polémiques entre les membres de l’assemblée : le mariage mixte.
Un juif peut-il épouser une chrétienne ou un chrétien, une juive ? Est-ce autorisé par la loi ?
Après quelques passes d’armes courtoises même les rabbins les plus scrupuleux l’accepteront.
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Le mariage mixte est interdit par la loi ;
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S’il est d’usage en France, il doit être accepté ;
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Il ne peut donner lieu à aucune cérémonie à la synagogue ;
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Il est valable aux yeux des juifs et ne peut donner à aucun anathème ;
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Dans tous les cas le mariage civil précède le religieux.
Le rôle des rabbins :
• Ils doivent être français ;
• Ils doivent prêcher une fois par semaine en français. Ils doivent veiller sur leurs ouailles et notamment s’assurer que les jeunes gens ne se dérobent pas au service militaire ( ce rôle sera aboli sous Charles ) ;
• Ils doivent s’assurer de l’enseignement de l’amour de la patrie, dénoncer les juifs qui se livreraient à l’usure et de fait ils s’acquitteront bien de leur tâche.
Après l’Empire
Aucun Empire n’est immortel, et Napoléon tomba !
L’histoire du pays s’accélère dans la mesure où les régimes se succèdent vite : Louis XVII meurt dans son lit, son successeur Charles X sera chassé par la Révolution de juillet 1830 et son successeur et cousin Louis Philippe trépassera en exil chassé par la Révolution de 1848. Après une éphémère République, la boucle semble bouclée puisque nous avons un empereur issu de la famille Bonaparte. Napoléon III mourra lui aussi en exil réfugié en Grande Bretagne après la désastreuse guerre franco-allemande. Durant cette courte période de notre histoire, moins de 70ans, les juifs sont entrés dans l’histoire de France : « Les enfants adoptés de la patrie », expression des Israélites pour témoigner de leur engament patriotique. Cette expression me semble plate si ce n’est obséquieuse. Peut-on adopter des hommes dont la présence fut malgré eux intermittente mais présents par la culture. Il est de fait que c’est à partir du XIXe siècle qu’ils participent intensément au développement et à la vie d’une patrie qu’ils aiment profondément. N’est-elle par celle des Droits de l’Homme ?
Chaque règne améliore leur sort. Louis XVIII ne renouvelle pas le décret de 1808 qui brimait les juifs d’Alsace. Louis Philippe adopte la Constitution dans laquelle il est stipulé que le catholicisme est la religion de la majorité des Français, ce qui sous-entend qu’il y a d’autres religions et de fait le protestantisme et le judaïsme deviennent des religions d’Etat ayant droit aux mêmes honneurs que les catholiques qui sont majoritaires. Un an plus tard la loi Rambuteau précise que les rabbins seront rémunérés à l’égal des prêtres catholiques et les grands rabbins alignés sur les évêques. Un peu partout en Alsace s’édifient des synagogues et leur consécration est fêtée dignement en compagnie du maire, des drapeaux et des habitants du cru, le maire et les édiles étant présents en grande pompe.
Que de chemin parcouru en si peu de temps !
L’exode rural qui frappe n’est pas un phénomène juif. Il existe dans toute l’Europe, et à l’image de l’ensemble de la population les juifs quittent peu à peu leur village pour s’établir dans les villes avoisinantes puis à Paris. Ainsi la communauté parisienne passe de 500 âmes en 1789 à 40 000 au tournant du siècle. Il s’amplifiera lors du rattachement de l’Alsace au Reich après 1870.
Si les débuts de ces émigrés de l’intérieur sont difficiles, les générations suivantes les verront prospérer dans toutes les strates de la société.
Quelques grosses fortunes apparaissent et focaliseront les critiques et les animosités.
Mes ces gens qui ont acquis du bien vont aussi favoriser l’ensemble de la société par leurs dons considérables.
Leurs fils peuvent accéder à l’enseignement et très vite aux Grandes Écoles, (le premier juif est reçu à Polytechnique avant 1800) et constituent peu à peu une élite intellectuelle remarquable.
Malgré ces évidentes victoires sur le passé, tout n’est pas aussi rose qu’on croit…
La peste antisémite a pris naissance en Allemagne et en France dans certains milieux intellectuels.
Elle se diffuse rapidement particulièrement, en France, par le vecteur de Drumont et son journal « La libre parole » et son ouvrage best-seller « La France juive ».
Et culminera dans l’affaire Dreyfus que vous connaissez tous.
Mais sa fin heureuse prouve que ce pays avait des ressources de tolérance.
La Première Guerre mondiale où le courage et l’engagement des juifs ne sont contestés par personne ressouda provisoirement le corps social.
Mais en dépit de ces événements pénibles et douloureux, en souvenir du passé et de l’œuvre construite, les juifs français sont persuadés que dans cette nation qu’ils aiment le bon sens va prévaloir… et de fait de très nombreux juifs français ne sont pas restés immobiles dans leur salon en attendant que l’on vienne les y cueillir. Il ne s’agit pas de dresser un annuaire des morts au combat ; ces hommes et ces femmes qui ont fait preuve d’un courage extrême n’appréciaient peut être pas que je me permette de résumer leurs vies et leurs morts en quelques lignes… mais je tiens à rappeler que lors de l’appel du 18 juin 1940 puis du ralliement, les juifs de l’île de Sein étaient nombreux et que parmi les premiers à rejoindre le général à Londres se trouvaient de nombreux juifs. Je ne citerai que René Cassin un des principaux rédacteurs de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme et du Citoyen éditée en 1948. Non je ne cèderai pas à la tentation de citer les si nombreux juifs qui sont entrés en résistance. Ils méritent non pas quelques lignes mais une réflexion approfondie. Je rappelle néanmoins que ces héros sont morts pour la cause française, en patriote juif sans doute mais eux se pensaient en Français. Ils sont morts sur les champs de bataille, dans les maquis, dans les caves de la Gestapo, dans les camps.
Le meilleur exemple à en donner avant de nous quitter sera de citer quelques lignes d’un grand historien, assassiné par la Gestapo en juin 1944, Marc Bloch, qui dans l’introduction de son livre de 1940 « L’étrange défaite » écrit ces mots :
« Mais peut-être les personnes qui s’opposeront à mon témoignage chercheront-elles à le ruiner en me traitant de ‘métèque’. Je leur répondrai, sans plus, que mon arrière-grand-père fut soldat, en 1793 ; que mon père, en 1870, servit dans Strasbourg assiégé ; que mes deux oncles et lui quittèrent volontairement leur Alsace natale, après son annexion au IIe Reich ; que j’ai été élevé dans le culte de ces traditions patriotiques, dont les Israélites de l’exode alsacien furent toujours les plus fervents mainteneurs ; que la France, enfin, dont certains conspireraient volontiers à m’expulser aujourd'hui et peut-être (qui sait ?) y réussiront, demeurera, quoi qu’il arrive, la patrie dont je ne saurais déraciner mon cœur. J’y suis né, j’ai bu aux sources de sa culture, j’ai fait mien son passé, je ne respire bien que sous son ciel, et je me suis efforcé, à mon tour, de la défendre de mon mieux. »
Conférence de Béatrice Philippe du 22 novembre 2018 chez Les Amis d'Odessa