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Boris Kleizmer-Shlaen (1941-2023)

Par Ada Shlaen

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Ada Shlaen et Boris Kleizmer-Shlaen

      Boris Shlaen est né en avril 1941 en Ukraine dans la ville de Proskourov qui comptait une importante communauté juive, plus de la moitié de la population totale. Bien plus tard, en 1954, pendant le régime soviétique, la ville fut renommée Khmelnitski. Curieusement, ce nom se trouve sur l’acte de naissance de Boris, mais il utilisait toujours le nom de Proskourov lorsqu’il parlait de sa ville natale. Au cours de la Seconde Guerre mondiale les Allemands exterminèrent la majorité des Juifs de la ville. Dans ces massacres périrent plusieurs membres de la famille de Boris, tant du côté paternel que maternel. Sa mère put fuir la ville avec son bébé et ils passèrent les années de la guerre en Asie centrale.

       Après la guerre, Boris et sa mère s’installèrent à Moscou où il suivit sa scolarité jusqu’au bac, obtenu après la mort de Staline où le fameux « rideau de fer » laissait apparaître ses premiers trous. Au début des années 1960, Boris diplômé de l'Ecole supérieure de cinéma de Moscou travailla dans les studios du Mosfilm en tant qu’assistant de metteurs en scène.

      Dans les années 1960 et surtout après la guerre des « six jours », on constata dans la communauté juive de l’Union Soviétique un net retour vers les traditions ancestrales. Des jeunes gens se mirent à apprendre le yiddish et l’hébreu. Les synagogues, surtout celles de Moscou, devenaient des lieux de rencontre à la veille du shabbat et pendant les fêtes juives. Ils organisaient aussi des « pique-niques » dans des bois, loin du centre et accrochaient des drapeaux israéliens aux arbres. Ils ont trouvé un système artisanal pour fabriquer des « Magen David » qui avaient beaucoup de succès. Les détenteurs de machine à écrire (en Union Soviétique, ce droit était très règlementé, normalement limité aux journalistes, écrivains, aux dactylos professionnelles…) tapaient sur du papier-pelure le texte du roman Exodus de Leon Uris grâce à quelques exemplaires donnés par des attachés culturels de l’ambassade d’Israël avant la rupture des relations diplomatiques intervenue le 6 juin 1967. 

     C’est ainsi que Boris et plusieurs jeunes s’impliquèrent dans la dissidence : leur exigence la plus importante concernant le droit d’émigrer en Israël. En juin 1969, un groupe de Juifs, parmi lesquels Boris et des membres de sa famille qui « collectionnaient » déjà plusieurs refus des autorités soviétiques d’émigrer en Israël, se sont adressés publiquement aux autorités soviétiques en exprimant leur souhait de quitter l’URSS, défini comme un pays antisémite où ils n’avaient pas la possibilité de vivre pleinement en tant que Juifs. A la suite de cette lettre, le journal officiel du gouvernement soviétique Izvestia a traité Boris de « renégat ». Néanmoins, un an plus tard, le visa de sortie lui fut accordé.

     En 1973, Boris est venu à Paris où il fut très chaleureusement accueilli par des membres de l’émigration russe, composée souvent d’artistes dissidents, expulsés d’Union Soviétique. Il a fait connaissance avec la famille d’un professeur d’histoire russe qui enseignait à la Sorbonne et qui s’intéressait beaucoup au cinéma soviétique. Il aimait parler avec Boris qui lui donnait beaucoup d’informations inédites qui concernaient les derniers films réalisés et interdits par la censure, les metteurs en scène les plus appréciés et les acteurs les plus en vogue. J’ai connu Boris dans la maison de ce professeur qui a joué dans notre cas le rôle de « marieur ». Je dois souligner que Boris adorait la langue russe, sa littérature, sa culture. Il parlait un russe parfait, mes amis russophones appréciait les conversations avec lui, tout simplement pour avoir le plaisir de l’entendre parler.

     Durant sa vie en France, Boris travailla comme traducteur et journaliste. Dans les années 1980-2000 la presse russophone en Occident et surtout aux Etats-Unis était riche de plusieurs titres ; les articles de Boris paraissaient surtout dans le journal Panorama édité à Los-Angeles et le magazine littéraire Kontinent de Paris. Parallèlement, il travaillait comme assistant de la langue russe au lycée de Savigny-sur-Orge ; il aimait bien ses élèves, j’ai pu en rencontrer certains qui ont gardé des bons souvenirs de ses cours.

       Nous nous sommes mariés en novembre 1974 et en décembre 1975 notre fils est né.  En juin 1976, Boris s’est envolé pour Israël pour rendre visite aux membres de sa famille. Sa mère Ida devait l’accompagner lors de son retour en France. Le 27 juin Boris et sa mère sont montés dans l’Airbus A300 qui assurait la liaison Tel-Aviv/Paris par le vol Air France 139 avec une escale à Athènes. Peu de temps après le décollage de la capitale grecque, le vol est détourné par deux terroristes palestiniens et deux allemands de la Fraction Armée Rouge.  Ils exigent la libération de 40 palestiniens emprisonnés en Israël. Après une escale technique en Libye, l’avion atterrit à l’aéroport international d’Entebbe en Ouganda où les otages juifs (les autres nationalités seront relâchées au bout de 48 heures) sont restés une semaine dans le hall de transit du vieux terminal de l’aéroport.

      Dans la nuit du 3 au 4 juillet 1976, les forces militaires israéliennes réalisèrent le légendaire raid qui dura une trentaine de minutes et permit de sauver 102 otages. Malheureusement 3 otages ont été tués parmi lesquels il y avait Ida, la mère de Boris. Cette tragédie marqua profondément Boris pour le reste de ses jours.

Ada Shlaen (avril 2023)

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