De l’affaire Dreyfus à l’affaire Beilis
Par Ada Shlaen
Lorsque l’écrivain russe Anton Tchékhov fit en 1897 un long séjour en France, l’affaire Dreyfus était au centre de toutes les discussions. À l’époque se tenait le deuxième procès du capitaine qui fut reconnu coupable de haute trahison en 1894. Malgré de nombreuses preuves de son innocence, le premier verdict fut confirmé. Tchékhov écrivit alors dans une lettre datée du 4 décembre 1897 : « Toute la journée je lis des journaux, en étudiant l’affaire Dreyfus dans tous les détails. Pour moi il n’est pas coupable ! ». Quelques jours plus tard il envoya à sa sœur Macha la brochure d’Émile Zola, en demandant de la garder précieusement. Dans une autre lettre à son ami Souvorine, nous trouvons les mots suivants : « Zola a une âme généreuse, je suis plein d’admiration pour son action. La France est un merveilleux pays et ses écrivains sont dignes de notre estime ».
Sans doute, n’eût-il pas été surpris lorsqu’en 1911 la Russie fut secouée par une autre affaire, enracinée dans le même antisémitisme viscéral et ancestral. Mais Tchékhov, mort en 1904, ne fut pas témoin du déferlement de haine d’une partie assez importante de ses compatriotes.
Tout commence d’une manière très prosaïque, voire sordide
Le 12 mars 1911, dans un quartier périphérique de Kiev, on constate la disparition d’Andreï Yushchinski, âgé de treize ans. Parti tôt de la maison, il n’arriva jamais à son école, le séminaire de la Cathédrale Ste Sophie de Kiev où il étudiait afin de devenir prêtre. Pourtant, ce jour-là, il « avait séché » ses cours pour se rendre chez un camarade, Génia Tcheberiak, où on le vit en train de jouer au ballon. Dans la rue, Casimir Chakhovski, un employé des services municipaux réparait des réverbères, et il déclara aux enquêteurs qu’il avait aperçu les deux garçons dans la matinée. André vivait avec sa mère, une marchande de quatre-saisons et son beau-père, un imprimeur. Ils s’occupaient peu de lui ; par contre il était proche de sa tante, la sœur de son père, engagé depuis plusieurs années dans l’armée. Elle gérait aussi un capital, laissé par son frère, destiné à couvrir les besoins du garçon et les frais de son éducation. Ainsi, le père de l’enfant qui n’avait pas voulu (ou pu) le reconnaître à la naissance, avait tenté d’assurer son avenir. Quant à la famille de l’autre garçon, Génia, elle n’était pas très fréquentable et des voisins murmuraient que sa mère, Véra, vivait du recel. Son appartement était fréquenté par des voleurs notoires, condamnés déjà à plusieurs reprises.
Le texte complet d'Ada Shlaen est consultable ici sur M@batim