Piotr Solomonovitch Stoliarski
Un éminent pédagogue du violon, fondateur de la première Ecole Spéciale de Musique à Odessa
par Diana Mykhalevych* et traduit du russe par Evelyne Rival
Résumé
Dans ce mémoire, je me propose d’analyser la méthode d'enseignement de Piotr Stoliarski et de décrire le système de formation en vigueur dans l'Ecole Intermédiaire Spécialisée en Musique pour les enfants doués (appellation officielle et complète) qu'avait créée le grand pédagogue. Dans le premier chapitre, je ferai un bref historique de la ville d’Odessa, dont la richesse culturelle a constitué un terrain favorable à la vie musicale, et je présenterai une brève biographie de Piotr Stoliarski. Le second chapitre analysera sa méthode pédagogique et évoquera la création de son école. Dans le troisième chapitre, j’expliquerai le fonctionnement original de l’école de Piotr Stoliarski et je présenterai certains élèves qui sont devenus eux-mêmes à la fois des virtuoses et de remarquables professeurs.
*Diana Mykhalevych a étudié le violon à la célèbre école de musique de Piotr Stoliarski à et elle a poursuivi ses études au Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris dans la classe de Michael Hentz. Dans ce travail, traduit par Evelyne Rival, elle se propose propose d’analyser la méthode d'enseignement de Piotr Stoliarski et de décrire le système de formation en vigueur dans l'Ecole Intermédiaire Spécialisée en Musique pour les enfants doués (appellation officielle et complète) qu'avait créée le grand pédagogue.
Le violoniste Mischa Elman
20 janvier 1891. Naissance à Talne (Ukraine) de Mischa Elman, le merveilleux violoniste qui faisait pleurer Sholem Aleichem.
Au long de son illustre carrière, Mischa Elman ne laissa aucun auditoire indifférent, y compris le célèbre écrivain yiddish Sholem Aleichem et une salle remplie de scouts sionistes à Rishon Letzion en 1935.
Contemporain de Jascha Heifetz, il était sans doute doté d'un talent tout aussi exceptionnel.
Né en 1892 dans la ville ukrainienne de Talne, alors bastion du mouvement hassidique, Elman s'imposa très jeune comme un membre incontournable de ce que l'on appellera plus tard la "génération d'or" des violonistes juifs.
Elman fut le deuxième élève prodige de Léopold Auer (après Efrem Zimbalist) à devenir internationalement célèbre avant l'adolescence. Leur professeur d'origine hongroise - élève de Joachim et ensuite mentor de Toscha Seidel, Jascha Heifetz et Nathan Milstein - fut nommé professeur de violon au Conservatoire impérial de Saint-Pétersbourg en 1868. Il y resta jusqu'à la Révolution, puis partit pour les États-Unis.
En 1878, Tchaïkovski dédia son concerto pour violon à Auer, mais retira cet honneur lorsque ce dernier le déclara "injouable". Plus tard, Auer se rétracta, exécuta l'œuvre à plusieurs reprises et tint à l'enseigner à tous ses élèves, y compris Elman, qui en vint à la chérir comme si elle était la sienne.
Mischa avait 11 ans lorsque son père l'amena à Auer, en vacances à Odessa, où la famille s'était installée pour renforcer le talent naturel du garçon. Lorsqu'il eut joué le 24e Caprice de Paganini et le deuxième concerto de Wieniawski, Auer insista pour que le Conservatoire impérial l'accepte immédiatement.
À Saint-Pétersbourg, Mischa donna des concerts privés à des amateurs d'art, dont l'un, le grand-duc de Mecklenburg-Strelitz, lui donna un violon Amati. Les progrès furent si rapides qu’Auer décida que Mischa se produirait à Berlin (où un protégé de Joachim, âgé de 10 ans, avait fait sensation en 1903).
Le 13 octobre 1904, la veille de ses débuts, Elman joua en privé pour Joachim, qui ne put que dire: "Je suis sans voix". Ce ne fut pas le cas du public qui s'enthousiasma pour le phénomène de 13 ans.
En 1905, il conquit l'Angleterre et se joignit à Nellie Melba et Enrico Caruso lors d'un concert au palais de Buckingham devant Edward VII et Alfonse d'Espagne. Qualifié de "plus grand violoniste du monde" par les critiques londoniens, Elman fit ses débuts américains à Carnegie Hall le 10 décembre 1908 - à un mois de son 17e anniversaire - en jouant le concerto de Tchaïkovski avec la Russian Symphony Society de New York.
En 1912, il s'était produit avec tous les grands orchestres américains, y compris 31 représentations avec le Boston Symphony!
En 1914, à l'âge de 22 ans, il s'installa définitivement aux États-Unis, où il épousa une riche femme juive américaine, Helen Frances Katten, qui lui offrit un Stradivarius en guise de cadeau de mariage.
Puis Heifetz, qui était le chef-d’œuvre d’Auer, fit ses débuts américains à Carnegie Hall le 27 octobre 1917. Il avait 16 ans, soit dix ans de moins qu’Elman. Elman continua à faire des tournées tous azimuts, mais une supernova avait usurpé sa célébrité - un technicien sans pareil, un musicien de la tradition "moderne", même si Elman continuait à être célébré comme "le violoniste au timbre d'or".
Comme il avait les doigts courts et épais, il se concentra au maximum sur l'expression plutôt que sur le jeu rapide et virtuose. D'un style clairement romantique, il ne croyait pas à des règles objectives qui s'appliqueraient universellement à une composition, mais plutôt à une interprétation personnelle qui reflète les capacités techniques et la personnalité de l'interprète.
Elman continua à jouer même lorsque le déclin de sa technique fut visible en ralentissant le tempo de certaines pièces, mais il insista pour exécuter des programmes exigeants même à un âge très avancé. Une fois, peu de temps avant sa mort en 1967, il joua trois concertos en une seule soirée. La capacité d’Elman à captiver le public américain en général, et le public juif américain en particulier, en fit un symbole.
Dans son livre "Les Virtuoses: De Paganini" (en hébreu), Nathan Dunevich écrit, à la suite de l’historien de la musique Henry Roth, que pour de nombreux juifs pauvres, le jeu d’Elman symbolisait la lumière au bout du tunnel. Le succès d'Elman, explique-t-il, les encouragaient à envoyer leurs enfants étudier le violon malgré les difficultés, avec l'espoir que de nouveaux génies juifs imiteraient ses exploits.
L'accompagnateur d'Elman, dans ses dernières années, fut le pianiste israélien Joseph Seiger. Pendant 15 ans, il joua avec Mischa Elman lors de toutes ses tournées mondiales. "Quand je l'ai rencontré, raconte-t-il, il était déjà l'aîné des grands violonistes. Après sa mort, j'ai joué avec d'autres grands violonistes, dont Henryk Szeryng et Ruggiero Ricci, et j'ai vu la différence. Elman était d'une classe à part."
Seiger entendit Elman jouer pour la première fois en 1935, à Rishon Lezion. Elman était alors en tournée dans la région, y compris en Égypte et en Palestine mandataire. "Beaucoup de gens à Rishon pleurait d'émotion", se souvient Seiger. "J'étais un jeune garçon. Je ne comprenais pas pourquoi ils pleuraient, et j’interrogeais ma mère. Des années plus tard, lorsque j'ai accompagné Mischa Elman en concert, j'ai compris pourquoi."
Seiger, qui étudia à la renommée Juilliard School de New York, commença à travailler avec Elman en 1952, après avoir été choisi parmi 14 candidats auditionnés. "Lors de la première séance d’audition, Elman me demanda: "Est-ce que tu joues Beethoven? Voici la partition de la sonate "Le printemps". Joue-la avec moi." Selon Seiger, Elman était "juif jusque dans la moelle de ses os". "Il y avait un écho de son âme juive dans tout ce qu'il jouait", dit-il. "Le violoniste Zvi Zeitlin déclara un jour que, quand Elman jouait Brahms, ce n'était pas Brahms mais Abrahams.
Ses relations avec ses rivaux allaient bien au-delà de la politesse, rapporte Seiger. "Il avait l'habitude de parler au téléphone avec Jascha Heifetz plusieurs fois par an. Ils parlaient russe ensemble. Mais il y avait toujours des frictions. La principale était que, dans son contrat avec RCA, Heifetz avait demandé et obtenu une clause stipulant que s’il enregistrait un concerto donné chez eux, ils ne publieraient pas d’enregistrement d’autres violonistes jouant le même concerto pendant plusieurs années. Elman travaillait avec RCA depuis des années et à cause de ce problème, je l'ai convaincu de travailler avec Decca.”
Elman rencontra le violoniste soviétique juif David Oistrakh lors de la première visite de ce dernier en Amérique en 1955 et l’invita chez lui. "A deux heures du matin," raconte Seiger, "Elman me dit d'apporter la partition pour violon et l'arrangement pour piano du "double concerto" de Bach, que nous avons joué ce soir-là. Le lendemain matin, ils jouèrent aux échecs pendant des heures. Elman n'a jamais voulu me dire qui avait gagné.
Seiger poursuit: "Il a toujours été un gentleman. Sur les vols, j'étais toujours assis à côté de lui en première classe. Heifetz ne traitait pas son accompagnateur de cette façon. Il parlait toujours de nos concerts au pluriel. Les répétitions avec lui ressemblaient toujours à des concerts. Nous jouions sans parler du tout, du début à la fin. Parfois, des musiciens professionnels étaient invités à y assister.
Au total, dit Seiger, Elman était un homme heureux. "Il était heureux et fait pour la vie. Il prit soin de toute sa famille, y compris de ses parents qui arrivaient de Russie."
La brouille d'Elman avec l'Orchestre philharmonique d'Israël est célèbre, due selon Seiger à des rivalités personnelles. "Cela avait à voir avec la façon dont Zvi Haftel le traita quand Haftel était premier violon et directeur de l'orchestre, car il était l'élève de Bronislaw Huberman, le rival d'Elman.
"Au début des années 1950, lorsque l'OPI vint en Amérique pour se produire sous la baguette de Serge Koussevitzky, Elman fut invité comme soliste, mais il refusa d'accepter les ordres de Koussevitzky, un juif converti au christianisme. Ils ne le lui pardonnèrent jamais. Des années plus tard, le maire de Tel Aviv, Mordechai Namir, était à New York et invita Elman à venir jouer à Tel Aviv. Mais Haftel ne lui aurait pas permis d'entrer dans la salle de concert de l'orchestre, l'auditorium Mann.
Le professeur David Chen, de l'Académie de musique et de danse de Jérusalem, a déclaré que le son particulier d'Elman n'était pas qu'un mythe. "J'ai entendu Elman pour la première fois dans les années 1950, alors qu'il n'était plus aussi en forme. Il interpréta la symphonie espagnole de Lalo, le concerto pour violon de Tchaïkovski - ou peut-être Mendelssohn - et le concerto de Brahms. Au milieu du Brahms, il eut un sursaut de force, souleva son violon plus haut de la main gauche et à partir de ce moment-là, sa sonorité ressembla à celle des anciens et glorieux enregistrements. À mon humble avis, personne aujourd'hui ne lui est comparable. Peut-être Perlman."
Chen, un violoniste et enseignant chevronné, a expliqué que le son d'Elman était différent de celui de Jascha Heifetz. "Le son de Heifetz était ce que nous appelons "haut". Il allait loin. Ce son n’était pas aussi large ni aussi rond que celui d’Elman. Le vibrato de Heifetz était plus étroit (c’est-à-dire que l’écart par rapport au ton était plus petit). Comparativement à Fritz Kreisler, chez Elman, toutes les cordes sonnaient un peu comme la plus basse, la corde du sol. Pourtant, il avait moins d'unification sonore des quatre cordes que Kreisler."
Les doigts courts et épais d'Elman n'étaient pas nécessairement un handicap, ajoute-t-il. "Chaque violoniste a des doigts différents. Pourtant, d'après le grand nombre que j'ai vu, les gens avec les doigts de Madonna - longs, fins et pointus - ne conviennent pas vraiment au violon. J'ai lu un livre d'une chirologue qui était aussi une psychologue freudienne. Elle a découvert que les personnes avec de tels doigts avaient tendance à être plus contemplatives qu’actives. Si vous aviez vu la main d’Isaac Stern sans savoir qu’il était violoniste - il avait des doigts courts et larges - vous n’auriez jamais pensé qu'il jouait du violon."
Elman mourut dans son appartement de Manhattan, le 5 avril 1967, quelques heures après une répétition avec Seiger. Il est enterré dans le cimetière de Westchester Hills à Hastings-on-Hudson, New York.
Avant de quitter cet article, ou tout de suite après, écoutez au moins une fois Mischa Elman, qui fit plus que tout autre peut-être, résonner l'âme juive dans un violon. Vous en trouverez sur youtube et sa discographie est abondante.
Écoutez, par exemple, l'enregistrement historique du concerto de Tchaikowski, réalisé en 1929, quand Mischa Elman était au sommet de son art.
https://www.youtube.com/watch?v=G3L97sdOcJQ
Charles Yisroel Goldszlagier ("Yiddish pour tous" / 20 janvier 2019)