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« De Koutchekort à Courchaure en passant par Koutchkoff »

par Serge Courchaure

            Écrire, Écrire pour qui, pour quoi ??? Ce n'est pas chose facile… n’eut été l'amicale pression de mon amie Isabelle Nemirovski, je n'aurais pas pensé me raconter ainsi. Mais il m'est désormais impossible de reculer, avant l’écrit, une parole est une parole. Mais écrire sur soi, raconter une vie, tout un cheminement dans l'existence, n'est pas chose facile à l'heure des mails et autres messages qui parfois en disent long, sans avoir rien dit.

            L'essentiel est ailleurs !! Alors je me lance.

 

            Je suis Serge Courchaure, ça ne sonne ni très Russe ni très juif (voir plus loin …).

Koutchekort

          Et pourtant c'est bien de la Russie juive que je descends, plus particulièrement d’ODESSA, enfin d'un faubourg d’Odessa, plus sûrement d'une bourgade satellite, un Shtetl  nommé OMINAN, c'est pourtant d'Odessa dont parlait quelquefois ma Grand-Mère paternelle ? Elle était née Yenta Lierman puis mariée à Yaché KOUTCHEKORT lui-même fils de Georges et de Rebecca PORTNOY !!!... (Rien à voir j'imagine avec le héros de Philippe Roth et son fameux complexe) et les deux réunis religieusement eurent un fils, mon Père Rachmil né là-bas en 1906.

            Cette grand-mère arrivée en France après un véritable tour d'Europe et tous ses aléas, avec peu de bagages, un Mari malade et son fils. Yaché fuyant l'obligation du service militaire (de 7 ans je crois) dans les armées du tsar, avait décidé de rejoindre le Frère de Yenta déjà bien installé à Los Angeles depuis quelques années, et qui leur avait envoyé deux billets pour le rejoindre en Amérique.

            Enfin arrivés au Havre, où hélas l'état de santé de Yaché sans doute aggravé au cours de leurs pérégrinations, ont valu à ce grand-père que je ne connaitrais pas, d'être refoulé par les services d'immigration des USA et qui, mal soigné, comme un pauvre émigrant sans papiers (ça existait déjà...!) est décédé quelques semaines plus tard, dans leur refuge parisien, laissant ma Grand-Mère, encore très jeune et avec un tout petit enfant, mais parlant à peine le russe, uniquement le Yiddish, ce qui, même dans les années 1950 ayant tout juste appris à baragouiner le français, ne lui permettait pas de bien me raconter son épopée à Odessa... Elle était fille ou petite fille de Rabbin mais s'était maintenant détournée de la religion. Ce petit bout de bonne femme, une vraie Babouchka, dont les longs cheveux m'étonnaient quand je la regardais se coiffer, de très longs cheveux argentés qui n'ont jamais vu un coiffeur et qu’elle brossait alors pendant un temps infini. Petite et courageuse (à la limite de l’inconscience) a élevé seule son fils chéri, traversant la guerre de 1914-1918, la crise ensuite, puis l'antisémitisme et les persécutions nazies, survivante à tous ces déboires, un vrai miracle. Je regrette maintenant mon Incuriosité auprès de cette Femme qui n'a jamais changé d'adresse puis s'est laissée porter par son fils (mon Père) qui véritable gosse de la Butte Montmartre, « titi Parisien » s'il en fut, d'une vivacité et d'une intelligence hors du commun, roi de la débrouille à cette époque, début des années 1920, sachant profiter de toutes les occasions pour survivre, aider sa Mère et grandir ? Fréquentant avec sa bande de copains la paroisse voisine, jusqu'à faire sa communion pour bénéficier du costume offert lui permettant de faire bonne figure à sa Bar Mitsva la semaine suivante et de se présenter bien vêtu aussitôt après au certificat d'étude…

            Il bénéficia aussi d'activités et de repas gratuits comme petit Poulbot, place du Tertre, comme je le serai moi-même trente ans plus tard, et tous ses souvenirs et exploits d'adolescent ont enchanté mon enfance à son retour de captivité.

          Mais avant cela, pour aider sa Mère de quelque argent, après l'école il vendait les journaux à la criée qu'il se procurait rue du Croissant, pendant que Yenta, après des ménages chez les particuliers, faisait sa tournée des tailleurs juifs du 18e arrondissement pour y ramasser les chutes de tissu (les rognures) qu'elle entassait dans un sac énorme porté jusque chez le chiffonnier qui lui achetait à vil prix sa récolte du jour.

            Et lui, Rachmil, à la vente des journaux, il devait alors avoir 15 ans, fut interpellé de la terrasse du café par un acheteur habituel qui lui proposa un travail plus rémunérateur et plus adapté à sa vivacité et ainsi pénétra dans cet univers si particulier de l'argent, de la Bourse où très vite il sut s'adapter et faire un bout de chemin. Il y fit ses armes comme « grouillot » pour une banque privée qui fut à l'origine d'un énorme scandale à l'époque… l'Affaire des faux bons de caisse de la Caisse d'Épargne de Bayonne ! Ce Poulner, le banquier, fut condamné lourdement aux assises, mais l'intervention amicale de Stavisky permit de réduire sa peine lui évitant ainsi le Bagne de Cayenne.

Koutchekort

             Pendant ce temps-là, ayant pris de l’assurance, mon Père, participe alors au marché de la coulisse (sur le parvis de la Bourse) où les transactions étaient nombreuses sur des valeurs qui, depuis, ont disparu du marché comme la De Beers, le Rio, la Tubize, Mexican Eagle... Ce marché de la coulisse était très attrayant et permettait de nombreuses opérations avec les places étrangères par les arbitragistes dont il faisait désormais partie à tout juste 20 ans et gagnait dès lors beaucoup d’argent ce qui lui permit une vie d’aisance, de longs week-end à la Baule et autres plaisirs de ces privilégiés de l’argent facile… alors que d’autres spéculaient à tout va organisant des escroqueries (bien avant Maddof) et c’était aussi l’époque des grands scandales financiers qui ont secoué la 3e République dont le scandale Lowenstein qui dut obliger mon Père à quitter la banque et où la plupart des juifs du milieu boursier furent victimes d’une vague d’antisémitisme devant penser rapidement à se reconvertir ! Entre-temps mon Père, raisonnable, avait acquis une grande maison avec jardin (qui ferait nos délices après-guerre à moi et plus tard de mes enfants …) sise à Livry Gargan où il réussissait à entraîner de temps à autre sa Mère réticente.

            Et c’est aux environs de Livry Gargan - à Sevran ou au Raincy ? -, en 1933, dans un bal Musette qu’il rencontre sa future femme, ma Mère plus jeune de 7 ans ? Ils se marient en 1934, hélas la situation politique et économique oblige mon Père à se reconvertir et désormais il fait avec ma Mère les marchés de Banlieue avec ses beaux-parents (ma grand-mère remariée avec Jacques un homme formidable qui fut un merveilleux grand- père de remplacement). Mon Père continue jusqu’à son départ à l’armée en 1938, après avoir demandé sa naturalisation et en contrepartie l’obligation du service militaire dans un régiment d’étrangers devenu célèbre sous le nom de régiment ficelle, l’armée n’ayant plus de ceinturons pour ces recrues ! Ce régiment en manœuvres dans l’Est est immédiatement fait prisonnier lors de l’invasion allemande. Prisonniers de guerre sous l’uniforme, bien que juifs pour la plupart, ces soldats ont connu une captivité très dure changeant souvent de Stalags et quasiment voués aux travaux forcés dans les carrières de pierres ou chemins de fer. Pour eux, la convention de Genève n’existant pas mais, échappant aux camps de concentration, survivant tant bien que mal aux pires tourments jusqu’à leur libération bien peu de temps avant l’Allemagne défaite puis, quelques mois dans des camps de réfugiés et de retour à Paris début mai 1945, à moitié squelettique, dans la cour de la Gare de l’Est où nous l’attendions ma Mère et moi, sous la neige, mes pieds gelés dans mes galoches en bois de l’après-guerre.

            Je parlerai de ma Mère en commençant par mon plus grand étonnement de savoir cette jeune femme (née en 1913) déjà pupille de la Nation, son Père Albert Aizenstein mort à Verdun sous l’uniforme français et qui connut le pensionnat de jeunes filles de Rothschild pour orphelines durant des années, alors que sa jeune Mère (18 ans les séparaient) essayait de reconstruire une vie de veuve de guerre... Mon étonnement, disais-je, pour Elle comme pour ma grand-mère Yenta (ne parlant toujours pas français ou si peu) : comment ces femmes seules, dans Paris occupé, ont pu passer au travers de tout pendant plus de quatre années, échappant aux rafles et autres tourments jusqu’à la Libération ?  Il y en eut d’autres aussi et c’est un vrai miracle.

            Ma Mère est restée fragile et tourmentée et même des années après que mon Père soit rentré et se soit reconstruit apportant confort et stabilité au ménage, j’ai toujours eu le sentiment d’une existence difficile pour ma Mère malgré tout. Cette femme qui avait déjà subi un traumatisme en perdant son premier fils mort à 8 mois en 1936. Quant à moi je suis né en 1937, sa consolation, mais Elle a toujours eu en elle cette blessure.

Koutchekort

           Je suis né sous le nom de KOUTCHKOFF (Koutchekort d’origine odessite ayant été déformé aux passages difficiles des frontières par Yacha et Yenta) et c’est sous ce nom très russe (nous y voilà) que je suis inscrit à ma naissance et à l’école maternelle de la rue Marcadet (j’ai encore un cahier de l’époque avec ce nom), ce nom que des années plus tard mes Fils voulaient reprendre le trouvant plus exotique et plus beau que Courchaure…, enfin moi je me suis bien habitué. Ce nom que mon Père a choisi de franciser en 1945, car il y eut une loi permettant aux étrangers engagés volontaires de franciser leur nom (souvent imprononçable !!!) et le voilà devenu Courchaure Émile, j’ai toujours le Journal Officiel où figure l’annonce.

             Petit retour en arrière, en l’absence de mon Père et très inquiète, ma Mère décide de m’envoyer rejoindre mes grands-parents refugiés en zone libre à Aubusson ou un grand-oncle tenait depuis longtemps un commerce de bois et charbons en gros dans cette région forestière. Zone libre qui ne le fut pas très longtemps. À l’arrivée des Allemands, Margot ma grand-mère, a miraculeusement réussi à me confier, moyennant finance, à des paysans chez qui je fus en compagnie de deux autres enfants juifs et où je demeurais près de deux ans dans ce trou au fin fond de la Creuse. Me voilà enfant caché, peu de souvenirs ou occultés dans ma mémoire, hormis, comme j’étais de petite taille, ma sainte horreur des vaches et de l’odeur du lait, vaches que nous devions garder aux champs la plupart du temps. Seule recréation la Messe du dimanche où mes compagnons et moi servions le Curé dans son office et qui nous récompensait d’un vrai bon goûter ! Plus tard de passage à Aubusson, j’ai voulu retrouver le lieu-dit, mais sans les noms ma quête fut vaine. Je ne sais plus si je fus vraiment malheureux, ma mémoire a fermé le dossier.

              Et me revoilà à Paris début 1945, ma Mère ayant récupéré son logement exigu du 18e arrondissement grâce à des amis bienveillants - lui était officier de Police. Ils ont cultivé avec ma Mère ensuite une longue amitié. Appartement d’une pièce-cuisine avec les toilettes sur le palier que mes parents ont jugé inconfortable et pour rattraper une scolarité inexistante pendant les années précédentes me placent dans une pension à Gagny. Encore deux ans passent et mes parents s’installent avec moi dans un appartement plus vivable, rue Lamarck, toujours dans le 18e arrondissement. Je les rejoins et m’y trouve bien, l’école communale de la rue du Mont Cenis, au pied du Sacré Cœur, non loin de l’endroit où mon Père a passé son enfance et où Yenta vivait toujours, rue Feutrier. Je me souviens des sorties d’école et des glissades sur les barres d’escalier, rue des Saules, depuis le cabaret « Le lapin à Gill » (celui des peintres montmartrois) jusqu’en bas de la rue Caulaincourt et les  mêmes glissades en luge ou un hiver la neige avait été abondante  jusqu’à effacer les marches d’escalier !!

           Période studieuse mais aussi celle des copains, des découvertes en commun de cet âge et des premières bêtises d’ados, mais à la maison peu de punitions, mon Père s’absentant beaucoup, travaillant pour une société de meubles, vendant sur toutes les foires exposition de Province pendant cette période faste de la reconstruction et de l’ouverture par le monde rural des lessiveuses remplies de billets pendant la guerre. Ça y allait, le commerce était florissant ; de ces foires ne subsiste plus que la Foire de Paris appelée à disparaître aussi avec le changement des mœurs, l’arrivée de la grande distribution, des centres commerciaux et bien sûr la vente sur internet.

            Ce fut donc une adolescence sans histoire, j’avais juste en horreur, plusieurs fois par an, de suivre mes Parents à toutes les manifestations et tous les bals des sociétés juives auxquelles ils adhéraient.

            Quelques jolies vacances ; la découverte de la Mer avec ma grand-mère Margot, splendide Femme, très française malgré tout, ayant appris la langue dès son enfance en Roumanie, et arrivée jeune à Paris avec ses deux frères et ses quatre sœurs, un Père ébéniste d’art venu pour une commande importante à Paris d’où la famille n’a plus bougé - même pendant la guerre - et trois des enfants furent déportés. Cette grand-mère que j’adorais et son Mari qui me gâtait. Elle fut pour moi la meilleure cuisinière du monde, faisant aussi plus tard le ravissement de ma chère Clara.

Serge Courchaure (mai 2021)

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