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De l'Amicale d’Odessa aux Amis d'Odessa

1914 – 2017

 

 

          Partir sur les traces de l’ancienne société mutualiste française « L’Amicale d’Odessa » en vue d’œuvrer à sa « renaissance » est une des ouvertures proposées par ma thèse soutenue en septembre 2016 sur Histoire, mémoires et représentations des Juifs d’Odessa (1794-2014).

          Retracer les « pérégrinations » historiques de cette ancienne association créée aux portes de la Première Guerre mondiale – dont on ne connaît pas encore précisément le sort – permettra de redonner un nom, un visage, une identité et un chemin de vie à tout ce monde d’exilés russes devenus des citoyens français. Un pan entier de l’histoire des Juifs de France se trouverait ainsi restauré.

          Gisèle Pancerer – mémoire des lieux – était persuadée en 2013 que le travail de reconstitution de ce passé associatif s’avérerait impossible du fait de la destruction probable de la majorité des documents par les occupants nazis.

           La parole de cette fraternelle  – potentiellement riche en enseignements sur le modus vivendi des réfugiés juifs russes d’Odessa installés à Paris – aurait pu définitivement « s’envoler » mais, une photographie de la bannière de « L’Amicale d’Odessa, Société de Secours Mutuels d’Israélites fondée en 1914 » nichée dans l’ouvrage de Dominique Jarrassé Guide du patrimoine juif parisien, a encouragé la reprise de mes recherches.

           Suite à cette découverte inespérée, je me suis rendue au cœur du Marais parisien – 5 rue Sainte-Anastase, 3e – sur le lieu d’exposition de cet étendard. C’est aujourd’hui un oratoire Netzah Israël Ohel Morde’haï, une shul en version originale yiddish. Installé au premier étage sur cour, ce lieu consacré à la prière et à l’étude depuis l’entre-deux-guerres, regroupait à l’origine plusieurs associations qui abritaient de nombreuses activités et familles juives : la bannière de « L’Amicale d’Odessa » en garde précisément le souvenir.        

                La mission principale de ces sociétés d’originaires – on en dénombre 170 à Paris en 1939 –  était de consolider la solidarité, de tisser des liens entre ses membres au plan  social et culturel, d’entretenir dans certains cas une shul mais surtout d’assurer l’organisation des funérailles. Les membres d’une « société » cotisaient pour être enterrés dans un caveau juif. Regroupées en une Fédération des sociétés juives de France (FSJF), ou affiliées dès 1938 à l’Union des sociétés juives de France (Farband), ces lieux de regroupement représentaient également un vecteur d’expression politique juive collective.

               D’après l’Almanach juif de 1931, le siège social de « L’Amicale d’Odessa » se situait à cette période à Paris, 48 rue des Francs-Bourgeois ; la société comptait alors 140 membres et distribuait des secours et aide aux malades.

                La découverte d’un document d’archive conservé par le Mémorial de la Shoah et daté du 4 avril 1942 révèle que la société de secours mutuels (L’Amicale d’Odessa) a déplacé son siège au 5 rue Sainte-Anastase, et que, considérée comme une entreprise « commerciale », elle devait faire l’objet d’une aryanisation économique. L’Amicale d’Odessa n’ayant pour but que l’entraide sociale entre ses membres indigents, la relève de M. Binville – administrateur provisoire – est demandée le 23 février 1943.

                 Un très précieux livre comptable de l’association tenu durant les années de l’immédiat après-guerre a été retrouvé récemment dans la cave de l’oratoire. Cet épais registre conserve, entre autres, la mémoire d’une centaine de noms de sociétaires, de leur pays et ville d’origine et pour certains, de leur destin tragique en déportation.

                Est actuellement à l’étude un croisement de cette liste de noms avec les fichiers du Mémorial de la Shoah dans le but de retrouver la trace de descendants des adhérents de l’Amicale.

              On comprendra la pertinence de recréer  « L’Amicale d’Odessa » – un siècle plus tard – au 5 rue Sainte-Anastase, adresse où « siégeait » autrefois l’ancienne association et où elle a été aryanisée. Une reconstruction « sur place » est sans aucun d’une importance symbolique primordiale pour la communauté juive tout entière.

           En outre, face aux ravages de la Shoah, cette initiative apparaît comme une proposition de « réparation », de réécriture de ce passé afin d’en combler les blancs et comme une réponse à l’injonction au souvenir attribuée à Simon Doubnov peu avant son assassinat en 1941 dans le ghetto de Riga : « Bonnes gens, n’oubliez pas, bonnes gens, racontez, bonnes gens, écrivez ! ».

               L’Amicale d’Odessa 2017 aura donc pour vocation principale de rassembler les fragments d’une parole dispersée afin d’écrire une histoire non désincarnée de la communauté juive odessite qui, confiante, choisit – dès la fin du XIXe siècle – Paris pour refuge.

               Puis, au sein même de l’association, l’organisation d’évènements culturels réguliers autour de la mémoire juive d’Odessa au rayonnement international et aux expressions plurielles – artistiques, littéraires, scientifiques… – s’appliquera à redonner force et vigueur à cet espace de vie anéanti par les nazis.

                Cette « société » version 2017, gardienne de son passé mais résolument tournée vers l’avenir, sera aussi le lieu de la parole renouvelée grâce aux descendants « rescapés » de cette communauté.

 

Isabelle Némirovski (7 janvier 2018)

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