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Marie Mitler épouse Jacobson

Odessa 1873-Birkenau 1944

par Catherine Madillac 

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Marie Mitler naît le 24 mars 1873 à Odessa (Russie), fille de Jacob Mitler et d’Alexandrine Samoïlevitch. Sa famille fait partie de la petite bourgeoisie juive de la ville. Marie Mitler souhaite devenir médecin. Le numerus clausus lui est imposé et elle ne peut commencer les études médicales dont elle rêve. Sa famille qui, comme toutes les familles juives, est menacée par les pogroms décide d’émigrer en France où quelques-uns de ses membres résident déjà.

 

Elle arrive en France en 1899 à l’âge de 26 ans. Son dossier de naturalisation[1] indique qu’elle a été mariée avec Samuel Roll dont elle est divorcée depuis 1904. Elle commence des études de médecine et est reçue externe en 1901. Elle effectue des stages dans divers hôpitaux parisiens : Saint-Louis, Saint-Antoine, Bretonneau, Tenon. Elle obtient sa naturalisation en 1906 conjointement avec Salomon Jacobson, natif aussi d’Odessa, qu’elle épouse en 1905 à la mairie du 5e arrondissement de Paris. Il est également étudiant en médecine, mais plus avancé dans ses études puisqu’il passe son doctorat en 1906. Il part s’installer à Cléry-Saint-André, petite commune du Loiret, non loin d’Orléans.

 

Marie continue son cursus mais, pour des raisons que nous ignorons, elle ne peut terminer l’année 1906 à l’hôpital Tenon. Nous n’avons pas trouvé d’archives renseignant les années suivantes, si ce n’est qu’entre 1908 et 1911, elle étudie à la faculté de sciences de Paris[2]. Elle y obtient une licence ès sciences. Elle passe son doctorat en 1914. Sa thèse porte sur : « traitement prophylactique et curatif de la syphilis du nouveau-né[3] ».

 

D’après le Journal du Loiret de l’année 1915, elle exerce en compagnie de son époux à Cléry-Saint-André jusqu’en 1923. Il semble qu’elle se soit également installée à Orléans, au 2bis rue Charles Sanglier, des ordonnances retrouvées aux Archives nationales mentionnent cette adresse dès 1921, mais sans doute déménage t-elle car cette année 1921 la voit installée, au moins jusqu'en 1933 au 32 rue d'Orléans. De 1937 jusqu'à l'invasion de mai 1940, son cabinet est au 77 rue Royale. Ensuite, elle donne ses consultations 24 rue Sainte-Anne mais elle demeure au 1 rue de la Croix de Malte, c'est l'adresse qui est portée sur le registre de retrait de l'étoile jaune.

 

Mais revenons un peu en arrière : 1914, la Première Guerre mondiale éclate. Salomon est mobilisé comme médecin-major de 2e classe et, à l’armistice, sera promu médecin-capitaine. Il est cité à l’ordre de l’Armée et décoré de la Croix de guerre ainsi que de la Légion d’honneur. À cette époque les femmes médecins ne servent pas dans l’Armée française, néanmoins le Dr Marie Jacobson ne reste pas inactive. Elle est membre fondateur d’une œuvre de guerre « Le Comité de secours aux blessés ». Elle crée l’hôpital bénévole de Cléry-Saint-André, dont elle devient médecin-chef. Outre cette fonction, qu’elle exerce à titre bénévole, elle assure également le service pharmaceutique. Cet hôpital fonctionne du 11 novembre 1914 jusqu’à sa fermeture, le 1er septembre 1917.

 

À la fermeture de cet hôpital, elle continue à exercer les mêmes fonctions à l’annexe de l’école de rééducation des mutilés d’Orléans où sont soignés des soldats invalides, français et serbes. Son dévouement, sa conscience professionnelle et patriotique lui valent d’être décorée de la Médaille de la reconnaissance française, créée en 1917, avec une appréciation élogieuse[4].

 

Marie et Salomon ont accompli leur devoir de Français, même naturalisés de fraîche date. Le gouvernement de Vichy l’oubliera dès 1940.

 

La paix revenue, ils reprennent leurs activités et retrouvent leurs patients civils. La vie semble s’écouler paisiblement. Jusqu’en 1925, date à laquelle Salomon, qui est radical-socialiste, se présente à l’élection cantonale de Cléry-Saint-André. Il est battu mais cela ne suffit pas à ses adversaires politiques qui, dans des articles antisémites parus dans le Journal du Loiret[5], laissent éclater leur haine contre le « métèque-morticole[6] ». Salomon s’estimant, à juste titre, diffamé leur fait un procès, qu’il gagne mais c’est sans doute à cause de cette haine que Marie, 19 ans plus tard, a été assassinée dans une chambre à gaz, car elle aussi était pour certains également « métèque » car née à Odessa et « morticole » puisque médecin. Est-il besoin de répéter que les maux de l’humanité commencent toujours par des mots.

 

Malgré ces vexations la vie continue et Marie, outre son activité professionnelle, s’investit dans le monde associatif pour l’amélioration de la société. Dès 1917, elle fait partie de plusieurs sociétés civiles[7] dont le comité de la Ligue française pour le droit des femmes[8], dans la section de Cléry, puis au conseil d’administration de cette même ligue au comité d’Orléans où elle est élue en 1925.

 

De 1922 à 1939, elle est membre de l’Œuvre orléanaise des consultations de nourrissons. Elle dirige le dispensaire où elle assure gracieusement les consultations ; elle y dispense des conseils de prévention afin d’éviter la mortalité infantile. Elle crée en 1937 « le Foyer féminin », œuvre d’aide aux jeunes filles. Toutes ces activités philanthropiques et sociales lui laissent quand même le temps d’organiser des expositions et de donner des conférences.

 

Marie joue aux échecs et au bridge (Salomon y excelle). Elle participe à de nombreux tournois et championnats de France[9]. Si elle ne gagne pas la finale elle n’est jamais classée au-delà de la huitième position. Le journal Le Matin du 4 mai 1927 lui consacre quelques lignes : « La doctoresse Jacobson, friande de combinaisons savantes, est venue d’Orléans tout exprès pour se mesurer à ses rivales parisiennes ».

 

Où a-t-elle connu des francs-maçons ? Sans doute à Orléans. Sa famille nous apprend qu’elle fréquentait l’épouse de Jean Zay, lui-même initié à la loge Etienne Dolet du Grand Orient de France, comme Salomon également. À l’époque aucune obédience mixte n’existant dans le Loiret, Marie Jacobson frappe donc à la porte du Droit Humain à Paris. En l’occurrence à la loge n°4 Marie Bonnevial.

 

Comment, par qui, a-t-elle été présentée ? En l’état actuel des archives d’avant-guerre du Droit Humain, cela reste un mystère. Malgré tout, nous savons qu’elle a été initiée le 15 décembre 1921, puis élevée compagnon le 5 octobre 1930 et maître le 21 avril 1932[10], délai anormalement long pour accéder au troisième degré. Mais dans un courrier[11], Marie explique que ses nombreuses activités, tant professionnelles qu’associatives, l’empêchent d’assister aux tenues maçonniques et qu’elle souffre de son inassiduité.

 

L’éloignement de sa loge-mère ne l’empêche pas de pratiquer les devoirs d’entraide et de fraternité, car nous savons, par des courriers retrouvés, qu’elle veille tout particulièrement sur la santé de la fille d’une Sœur et qu’elle apporte un secours matériel à cette dernière. Sollicitée pour participer au réveil d’une loge du Droit Humain, à Blois, elle s’engage dans cette action, action qui n’aboutira pas.

 

Salomon meurt en décembre 1937. Veuve désormais, elle continue son activité en son cabinet et succède à son mari à la charge de médecin de l’administration. Elle est également nommée médecin-inspecteur des écoles.

 

En mai 1940, la Wehrmacht déferle sur la France. Orléans est bombardé, la maison de Marie n’est plus que ruines. Il semble qu’à cette occasion elle ait été hébergée par Léon Zay, père de Jean Zay. Orléans est située en zone occupée ; Marie est donc totalement exposée aux conséquences des lois raciales du régime de Vichy. Son nom figure sur une liste datée du 1er août 1941 et, le 3 juin 1942, elle vient retirer son étoile jaune[12].

 

A-t-elle été interdite d’exercer, en vertu de ces mêmes lois iniques ? Par contre, elle n’a pas été dénaturalisée. À des amis qui la pressaient de fuir ou de se cacher, elle répond « Je suis médecin français, ils ne me toucheront pas ». Marie Jacobson n’était certainement pas naïve et, à cette date, elle ne devait plus avoir d’illusions sur la bienveillance de Vichy à l’égard des Juifs mais, comme beaucoup, elle ne pouvait imaginer l’indicible.

 

Sa survie, forcément aléatoire, se poursuit jusqu’au 22 février 1944 où elle est arrêtée ainsi qu’une soixantaine de Juifs vivant dans le Loiret. Ils sont incarcérés à la prison allemande de la rue Eugène Vignat et transférés à Drancy le 28 février. Elle aura le triste privilège d’être arrêtée en même temps que Max Jacob, qui décédera à Drancy le 5 mars. Marie Jacobson part deux jours après, le 7 mars 1944, par le convoi n° 69, pour Auschwitz-Birkenau où nous ne pouvons que redouter qu’elle ait été immédiatement exterminée.

 

Ainsi disparaît une femme instruite, féministe, libre, mais toujours fidèle à ses engagements. Républicaine et ardente patriote, aimant et servant sans réserve son nouveau pays, où elle pensait avoir trouvé la paix.

 

Toujours, au-delà de son sacerdoce de médecin[13], elle fut à l’écoute de la misère, essayant de soulager ceux qui en sont victimes et notamment les plus vulnérables : enfants et jeunes filles en détresse.

Pour toutes ces vertus, le régime de Vichy la récompensa en la livrant aux nazis car toute une vie pétrie d’humanisme et d’honorabilité ne pouvait peser face à son origine juive et son engagement de franc-maçon.

 

Catherine Madillac (novembre 2020)

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[1] Archives nationales : BB/11/4547, n° dossier 8087 × 06.

[2] AN: AJ/16/5703.

[3] AN : AJ/16/7281.

[4]AN : BB/32/138

[5] Journal du Loiret, 31 juillet 1925.

[6] « Métèque » se passe de commentaires et «  morticole » est le surnom argotique et péjoratif donné aux médecins, popularisé par le roman éponyme de Léon Daudet.

[7] Archives municipales d’Orléans.

[8] Société fondée par Léon Richer en 1882 et qui se caractérise par la mixité, la laïcité et la Libre-pensée.

[9] Heritageechecsfra.fr/fem1927.htm

[10] Archives du Droit Humain. Archives privées soumises à autorisation de consultation.

[11] Archives du Droit Humain.

[12] Archives départementales du Loiret.

[13] Son nom figure sur la plaque commémorative (1939-1945) de la Faculté de médecine René Descartes, à Paris.

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