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Mes origines odessites

D’après « Histoire de la Famille » d’Yves Rechner (1923-2016)

        A mon père, pour ce qui aurait pu être son 100e anniversaire en mars 2023

 

       En juin 1976, j’arrivai de Moscou en train, après une longue année universitaire passée dans cette ville froide qui vivait de plus dans le glacis communiste soviétique. Je passais deux jours à Odessa, visitant le centre-ville, avant de m’embarquer sur le Liepaia, un beau bateau qui m’amena à Venise via la mer Egée et l’Adriatique. Sans le savoir, je marchais sur les traces de mon arrière-grand-père Zacharie, qui, probablement, s’embarqua sur un navire de fortune environ 90 ans plus tôt, et gagna Paris par un chemin inconnu. Ce qui me valut de naître « Français » et pas «juif russe» ou « citoyen soviétique, nationalité juive » !

 

     Mes quatre arrière-grands-parents paternels sont venus d’Odessa, Sébastopol, de Bessarabie. Mes quatre arrière-grands-parents maternels étaient nés au Tonkin. De là mon « cosmopolitisme génétique ». Ce récit évoque « les ancêtres de la Russie des Tsars » et mêle des récits issus de la tradition orale et des faits attestés par des documents et photographies, regroupés par mon père dans son « Histoire de la Famille » (texte jamais publié et achevé en 1997).

       L’histoire remonte aux années 1870-1890. Ils parlaient tous russe, vivaient dans l’Empire russe, mais avaient des noms d’origine allemande : 

 

A) Juifs d’Odessa et de Crimée (partie 1) :

RECHNER (le comptable, le calculateur, et au XXe siècle, la calculette), aussi orthographié Rekner ou Reichner et parfois prononcé « Riechner », enfin Richner

PECKER (ou Pekker), nom que l’on retrouve aussi en Alsace, ne paraît pas désigner un métier.

 

B) Juifs de la région de Bessarabie (partie 2) :

BREITMANN (ou Breitman) : le boulanger ou le meunier ou « l’homme du pain »

WOLFFENSOHN : « Fils du loup ».

 

        Pourquoi ces noms, pour des familles qui étaient toutes d’origine juive ?

 

         Soit leurs ancêtres avaient vécu dans l’aire germanique, qui allait de l’Alsace à l’Autriche, de la Baltique à la Bavière ; soit ils étaient venus d’ailleurs (descendants de marranes chassés d’Espagne au XVIe siècle ?) et avaient été obligés de prendre des noms, dont certains évoquant des métiers. Avaient-ils fui l’Inquisition, les pogroms, la famine, comme tant d’autres (Montaigne, le plus grand écrivain français du XVIe siècle, avait une mère juive convertie au catholicisme).

       Ces ancêtres parlaient certainement yiddish, mais, à la fin du XVIIIe siècle, ils avaient tous appris le russe, et pour eux qui faisaient partie des « Sépharades » assez évolués, le français, langue que parlaient toutes les personnes éduquées de l’époque.

 

        A) D’Odessa et de Sébastopol : Rechner et Pecker

 

        D’Odessa

 

     Rechner est le nom de notre famille. Une famille d’Odessa depuis ? on ne sait pas ! La tradition orale familiale mentionne des origines espagnoles, ou marranes, et une famille peut-être persécutée par l’Inquisition et qui aurait alors pris le chemin de l’exil, mais rien n’atteste cela. On retrouve les Rechner au milieu du XIXe siècle dans le sud de l’Empire des Tsars, en Crimée et autour d’Odessa.      

       Zacharie (Zacharia) (Issakovitch) Rechner (1869-1927) est attesté né à Odessa. Il a pour père Isaac Leibovitch Rechner, né à Simféropol – en Crimée – en 1843, marié à Esther Malka Abramovitch, née à Kherson (Ukraine actuelle, ville martyr en 2023) en 1847 (ces informations sur les lieux de naissance sont confirmées par une lettre sur l’état civil des Archives de France reçue en 1994).

 

      En 1889, Zacharie a 20 ans, et est exclu de l’Université d’Odessa, selon un document qui a été retrouvé. Citons-le (certificat précité de l'Université d'Odessa en date du 22 novembre 1889) :

 

"Le présent certificat est délivré par l'Université Impériale de la Nouvelle Russie à 1'ex-étudiant du premier semestre de la Faculté Physico-Mathématique, section des Sciences Naturelles, Zacharie, fils d'Isaac Rechner, inscrit d'après le certificat de maturité du second Gymnase classique d'Odessa, au nombre des étudiants de ladite Université pendant le semestre d'automne de l'année 1889-1890; à présent, d'après l'ordre du Conseil de l'Université, confirmé par Mr le Curate du District d'Odessa, il est exclu du département de cette Université" (suivent quelques lignes relatives au règlement du service militaire en Russie).

 

      On peut présumer que mon arrière grand-père Zacharie fut exclu en raison du numerus clausus. Le certificat a été traduit à Paris en octobre 1892, en vue de son inscription à Paris ; d'autre part, un certificat de scolarité de la Faculté de Médecine de Paris mentionne l'inscription de mon grand-père Zacharie au premier examen en décembre 1892. Ces événements ont donc bien eu lieu de fin 1889 à 1892. 

 

       Mais il y a une deuxième hypothèse, tout aussi révélatrice du climat qui règne à Odessa sous le règne d’Alexandre III (1881-1894), qui provient du récit de mon grand-père Paul Rechner :

 

Zacharie était l’animateur d'une école clandestine et traducteur principal des textes français : Michelet, Voltaire, Montesquieu, la Déclaration des Droits de l'Homme, etc. Le nombre d'élèves est passé de 5 à 60. Sur dénonciation, tous les présents sont arrêtés et les livres saisis. La police veut faire avouer à Zacharie la préparation d'un attentat contre le tsar (ce qui est faux, car il ne s'occupait que de traductions). Dans la nuit, le fils du gouverneur l'aide à s'évader. Il marche durant un mois et se réfugie quelques heures à Sébastopol où sa cousine Rose Rachel (née en 1873, elle a donc en 1889 18 ans) le reçoit dans le salon d'hiver de la maison familiale. Le père Haïm fait ses prières du Vendredi soir dans une autre pièce ; la mère Tatiana berce son douzième bébé. Naturellement la jeune Rose fond au récit que lui fait son héros de la liberté ; rien ne se fait contraire à son honneur ; mais ils se promettent de se retrouver en France et s'engagent mutuellement. Puis Zacharie poursuit sa fuite vers le port et la mer...

 

      Un autre récit familial, relaté de manière écrite par Paul Rechner en 1962, évoque le drame chez les parents de Zacharie à Odessa :

 

Le Rabbin procède aux dévotions rituelles pour un décès. Isaac, le père de Zacharie, repose de son dernier sommeil dans l'alcôve masquée par les rideaux. Sont également présentes : la mère, c'est à dire la femme d'Isaac (Esther) et les deux filles, Soniatchka et Katioutchka. Le Rabbin interroge pour préparer son sermon :

"Le Rabbin : Je n'ai pas vu Léon, le premier frère (NB : étrange...il est le second)

La Mère : Il fait son service militaire dans l'Oural.

Le Rabbin : Et Zacharie ?

La Mère : Tout le malheur est parti de son arrestation et de son évasion.  Depuis son évasion les représailles se sont abattues sur le commerce du père. Annulations de commandes, blocages de comptes, suppressions de licences. Tout par ordre de l'administration. Dans le gros négoce de grain, cela suffit pour être réduit à rien. Endetté, ruiné en deux jours. Le père a lutté près d'un mois avec courage. Lui, si bon, si scrupuleux...Alors, hier, il a embrassé avec beaucoup d'amour ses pauvres filles, il m'a parlé avec tendresse, me disant de me coucher. Je n'ai pas compris. J'ai cru qu'une heureuse issue pouvait encore être espérée, -hélas, -qu'il allait travailler dans ce bureau. J'attendais presque heureuse. Quand j'ai entendu la détonation... (elle défaille).

 

Le Rabbin prie à haute voix : « Que le sang de ce juste croyant retombe sur ses bourreaux ! Dieu accueille le près de toi tout puissant ! Protège cette famille injustement plongée dans la douleur, dans l'anxiété, dans la misère ! »

 

      Zacharie, qui n’apprendra le suicide de son père que plus tard, quitte donc Odessa vers 1890-1 pour de longues années. Il laisse derrière lui sa mère Esther, son frère Léon (né en 1872, donc de 3 ans son cadet), sa sœur Katia, qui le rejoignirent à Paris vers 1897-8. Pauvres, mais libres !

 

        Il arrive à Paris, par un itinéraire qui n’est pas connu. Au début, il travaille de nuit chez un boulanger, tout en étudiant pour suivre de jour les cours de médecine. En 1892, il passe son premier examen à la Faculté de Médecine de Paris, en 1897, il soutient sa thèse, qu’il dédicace à ses parents. Elle est consacrée à la gynécologie et à la chirurgie (Pincement et ligature des artères utérines). Il a réussi son rêve : devenir médecin et vivre dans un pays libre, celui de Voltaire et de Victor Hugo ! Et, en 1894, il a épousé Rose Rachel qui l’a rejoint. Leur première fille, Sophe, nait en 1895, la seconde, Hélène, en 1896.

 

      Ces témoignages attestent, outre les liens très anciens entre les familles juives d’Odessa et Sébastopol Rechner (ou Rekner, selon les lettres ou cartes postales de l’époque) et Pecker (Pekker), de la répression qui sévissait dans l’Empire à cette période (les grands pogroms récents remontaient à 1871, sous Alexandre II, et hantaient certainement ces familles qui étaient prêtes à tout, en particulier au départ, pour y échapper).

 

       Zacharie retournera à Sébastopol (pour une raison assez mystérieuse) avec Rose Rachel en 1899 pour y voir naitre leur cadet, le fils Paul Rechner (qui avait deux grandes sœurs nées à Paris, Sophie/Sonia/Sophe en 1895, et Hélène/Lena, en 1896). Ainsi mon grand-père Paul fut il le seul de cette génération qui naquit en Russie, mais il ne parla jamais le russe et fit toute sa scolarité en France, servit dans l’armée française en 1918, avant de devenir ingénieur diplômé de l’Ecole Centrale.

 

       Zacharie, fut naturalisé français en 1909 par décret du 20 février. Ils avaient demandé leur naturalisation en 1895, ce fut donc 14 ans de longue attente. Mais, dans une France en pleine affaire Dreyfus, les enquêtes administratives étaient très sévères. Et, selon le Journal Officiel de 1910, ce sont 2807 individus adultes qui furent naturalisés (dont 127 d’origine russe) et 6088 personnes si l’on inclut les enfants.

 

       Z. Rechner exercera son métier de médecin jusqu’à sa mort en 1926 : d’abord médecin « de campagne » à Andrésy, petit village des bords de Seine au confluent de l’Oise (dans la Seine-et-Oise d’alors), puis à l’Ile Bouchard, en Indre-et-Loire. Il prospéra, car il put acheter un cabriolet à l’air libre, à une époque où l’automobile était un signe extérieur de richesse, mais aussi pour pouvoir faire ses consultations à domicile. Cependant, on raconte qu’en 1911 l’automobile dérapa et eut la jambe cassée. Il s’installa à Paris en 1912. Il fut également médecin militaire dans l’armée française, et servit lors de la campagne de Serbie (1915-6). Il anima aussi une association de médecins d’origine russe, qui publia un journal médical en russe tout au long des années 1920. Enfin, après la guerre, à Saint-Maur-des Fossés, où il était très apprécié. Il en résultat que sa fille Hélène, qui porta l’étoile jaune pendant la Seconde Guerre mondiale et occupait son appartement, ne fut jamais inquiétée, car elle était protégée par le commissariat de police local, au-dessus duquel était son appartement. Natif d’Odessa, le Docteur Rechner porta haut l’idéal de sa jeunesse, soignant gratuitement les patients les plus pauvres. 

 

      Une anecdote savoureuse montre que les natifs d’Odessa pouvaient être sollicités de manière imprévue : vers 1912 sont organisées des manœuvres militaires en Touraine. Le tsar (lu l’un des Grands Ducs Cyrille et Boris de Russie ?) y assiste, et on recherche un interprète. On vient chercher Zacharie, qui servit ainsi de traducteur à celui qui incarnait un régime honni depuis toujours.

 

       La première fille Sophe (1895-1962), elle eut une vie très aventureuse, qui la mena jusqu’en Argentine où elle vécut avec son troisième mari de 1937 à 1947, créa deux Alliances Françaises et deux Comités « France Libre », donna des concerts de piano et rassembla des fonds pour la Résistance menée par le Général De Gaulle...La second fille, Hélène, était une personne délicieuse et très affectueuse. Handicapée par une opération à la cheville mal faite, elle boita toute sa vie, mais longtemps représenta la « conscience » de la famille Rechner, jusqu’à sa mort en 1974.

       Le second des « Rechner » odessites : Léon Richner (1872-1939), frère de Zacharie, émigra aussi en France. Il fit de nombreux voyages géologiques en Europe (Russie, Espagne, Portugal), en Amérique (Mexique ?), devint Président de la Société des Mines d’or du Katchkar (Russie), dont le siège était à Bruxelles, mais qui furent nationalisées après la Révolution russe. Il épousa Claire Tkash (1879-1963), dont il eut une fille, Juliette, née en 1908, qui épousa Raymond Haas (1908-1999), et ils eurent un fils, Gilbert, né en 1937, petit cousin de mon père Yves donc.

 

       La dernière des Rechner d’Odessa : Katerina, Katia (1880-1950) épousa un Selvine ou Zelvine, ils eurent un fils Henri Zelvine (1914-1983), qui lui-même eut après 1945 deux fils, Gilles et Jean Marie, que je n’ai jamais connus, et encore moins la génération suivante. Katia aurait divorcé, fut infirmière et masseuse médicale, éleva son fils Henri.

 

 

        De Sébastopol (Crimée)

 

       Rachel Rose Pecker (1873-1937) est née à Sébastopol de Chaïm (Haïm) Pecker (né à Smela, petite ville située au sud-est de Kiev en 1842, et mort en 1921) et Tatiana (Tuiba) Abramovitch (née à en 1850, décédée en 1915). Elle épouse Zacharia Rechner, venu spécialement de France où il poursuivait ses études, en 1894. 

 

       C’est une jeune fille « de bonne famille ». Haim Pekker est un tailleur très réputé, et devint tailleur de luxe. La tradition orale rapporte qu’il fut le fournisseur de la marine impériale (donc de la flotte de Sébastopol), sa famille vivait dans l’aisance, dans une grande maison. Ils savaient un grand magasin dont est conservée une photo et était inscrit au fronton « Tailleur du Tsar » : l’immeuble est en pierre de taille à deux étages, avec pour, en français « Pekker Frères, costumes civils, différents vêtements, recommandé ». La famille pratiquait encore les rites religieux (ils furent les derniers à le faire), le couple eut dix-huit enfants dont douze survécurent. Ainsi Zacharie eut-il une ribambelle de beaux-frères et belles-sœurs par alliance, dont beaucoup émigrèrent : Pierre passa sa thèse de médecine en France, Michel partit aux Etats-Unis (il eut 10 enfants), Nastia et Sonia épousèrent deux éditeurs de Saint Pétersbourg très connus à l’époque : Nastia, Gorodiev, éditeur de la « Gazetta 1 kopek », et Sonia, Godan ou Kogan, éditeur d’une célèbre « Illustration » russe. Sonia vivra dans un palais à Saint Pétersbourg mais, ayant surpris une conversation téléphonique entre son mari et sa maitresse, elle obtint le divorce et partit aux Etats-Unis (on retrouve son nom, Mrs Sonia Kogan, sur les reçus émis par l’American Relief Administration).

 

       Haim Pecker et Tatiana Pecker-Abramovitch émigreront en France entre 1905 et 1910, et y vécurent de leurs rentes et grâce à l’aide de leurs fils. Ils échappèrent aux pogroms de Simféropol, près de Sébastopol (1905), qui probablement les décidèrent à partir. Ils menèrent une vie assez aisée jusqu’à leurs décès (1915 pour elle et 1921 pour lui). Leur tombe se trouverait au cimetière israélite du Château de Nice. 

 

Ce qu’on sait de leur descendance : 

-   S’installent en France Pierre, Alexandre, Jacques, Arnaud, et Rose, seule fille en France,

-   Partent aux USA : Michel (qui devint fourreur et fonda une grande famille), peut-être appelé aussi Moïse, à moins qu’il s’agisse d’un autre frère, 

-   Restent en Russie : Isaac et les deux filles Nastia Gorodevskaya et Sonia Kogan, mais le fils de Nastia part en France.

      Sur les douze « enfants Pekker » ayant vécu, neuf sont clairement identifiés (six fils et trois filles), trois ont des destinées inconnues ?

 

        La vie en Russie après la Révolution russe est très difficile pour tous, d’après les documents conservés (et traduits par mon ami Daniel Doljansky) :

 

       Pierre adresse à ses frères et sœurs restés en Russie des colis alimentaires par l'intermédiaire de l'American Relief Administration (Russian Food Remittance) ; on a retrouvé quelques reçus de dix dollars, représentant chacun la contre-valeur du colis alimentaire fourni par cette Fondation à la personne désignée. On sait que ses parents ont été contraints à partager leurs appartements (collectivisés) avec d'autres familles nécessiteuses et n'y bénéficient que d'un espace très réduit ; aussi ne peuvent-ils déguster ces colis familiaux et leurs denrées précieuses, sans doute telles que viande séchée ou fumée, pâtés, sucreries, qu'en cachette de leurs voisins ; à tout bruit insolite, la nappe est vite roulée et dissimulée et la table dénudée.

 

       Nastia (dans une lettre (de 1922 ou 1923) à Pierre insiste sur le besoin de cette aide familiale :

 

 "Chers Vera et Pierre,

       Voici dans quel contexte je vous écris, par quoi nous sommes passés (en fait, elle ne le dit pas, mais précise : dans la lettre de Jacob, vous apprendrez comment je vis.)

      Mes chers, je vous demande de m'apporter aide par des colis alimentaires. Si je vous le demande, c'est que je pense pouvoir vous le rendre............ Ecrivez-moi et parlez -moi de tous.

       Mon Choura (lire Alexandre) est aussi un adolescent très bien et très intéressant qui devrait bientôt passer en 3ème et mon fils le plus cher Viva (lire Vladimir) est maintenant loin de moi, ce qui rend ma vie encore plus pénible. Encore une fois, mes chers, je vous demande de ne pas remettre votre aide à plus tard.

       Votre Nastia aimante".

 

       Dans une lettre, probablement de 1923, Isaac ne demande plus d'aide alimentaire pour lui-même, mais il souhaite vivement voyager en France :

 

" Cher Pierre,

       Maintenant mon rêve est d’aller voir la tombe de nos chers parents et de vous rencontrer. Pourrais-tu, ou est-ce que Jacob le pourrait, obtenir pour moi une autorisation de sortie pour des soins à Vichy ? SVP, ne remettez pas les choses à plus tard. En ce qui concerne la vie chez nous, maintenant les choses vont mieux. Comme auparavant, je travaille plus ou moins, tandis que Lisa s'occupe de la maison. En ce qui concerne les colis, maintenant je n'en ai plus besoin. Si possible, envoyez-les à Nastia, et ne soyez pas inquiets, elle vous rendra tout plus tard avec sa reconnaissance. Quant à moi je l'aide autant que je peux.

       Pour ce qui est de l'héritage, rien n’urge ; je voudrais seulement te demander que tu apportes ton aide à Volodia (Vladimir) tant qu'il n'est pas installé ; tu peux utiliser pour cela tout ou partie de mon héritage.

       Cher Pierre, tu as demandé que je t'écrive une lettre très détaillée à notre sujet. Pour les détails, je préfère te les donner quand on se verra.

Ton frère affectueux Isaac"

 

       Pierre Pecker fut médecin à Saint-Germain-en-Laye, son fils aîné Victor médecin également. Sa fille, Anne, peintre, épousa l’architecte Jacques Carlu, Prix de Rome (on lui doit, à elle, le rideau de scène du TNP). La génération suivante connut des destins plutôt brillants : un célèbre médecin, un célèbre astrophysicien, un capitaine au long cours. Mais elle fut aussi frappée par le malheur (déportation et mort dans les camps). Le dernier Pecker que j’ai connu, Jean-Claude, Professeur au Collège de France et astronome mondialement connu, et décédé en 2020, juste avant que le Covid ne frappe la France. Mais de nombreux petits cousins me sont inconnus, qu’ils soient en France ou aux Etats-Unis. Quant à la branche russe, elle a probablement disparu.

 

       La branche odessite, Rechner et Pecker, dans les années 1919-1927, entretient des liens très étroits. Tous se retrouvent souvent les dimanche, jours de rencontres et de fêtes. Mais elle s’est presque totalement intégrée et francisée, seule l’ancienne génération parle encore le russe.

 

 

Alain Rechner mai 2023 (à suivre)

Cliquez ici pour la deuxième partie 

Zacharie (Zacharia) (Issakovitch) Rechner

Zacharie Rechner, arrière grand-père, vers  1888/1889 avec un ami

Odessa

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